Quand la « biodiversité » affronte la « naturalité »

L’an 2019 : toute la Gaule est aménagée. Toute ? Non ! Quelques irréductibles îlots de nature persistent ici et là… Et comme dans la bande dessinée, tout le monde se chamaille au moment de décider ce qui doit être préservé, restauré ou sanctuarisé. Nous allons essayer de distinguer les deux tendances dominantes. Pas tellement pour arbitrer le match mais plutôt pour exposer les arguments des uns et des autres. Nous espérons le faire avec impartialité. Mais tout d’abord, un peu d’Histoire.

Biodiversité : du Jardin des plantes à la loi de 2016

Pendant des siècles, tout du moins du Moyen-Age à la Renaissance, la nature est essentiellement vue comme une « collection » d’espèces animales et végétales, chacune pouvant être plus ou moins utile ou dangereuse. Il y a ainsi une bonne connaissance des espèces végétales dans la culture populaire, connaissance qui a largement disparue aujourd’hui. Les plantes médicinales sont étudiées et cultivées dans les jardins des monastères. Le Jardin royal des plantes médicinales est créé en 1635. Son but est d’étudier et de faire connaître les espèces végétales au public. En 1793, après la révolution, il devient le Jardin des plantes de Paris. Créé la même année, le Muséum National d’Histoire Naturelle a pour première mission la conservation des collections scientifiques qui comprennent environ 67 millions de spécimens.

Le Jardin des plantes et le Muséum National d’Histoire Naturelle de Paris

Aux XVIIème et XVIIIème siècle, en même temps que les grands voyages d’exploration, se développe en Europe un véritable engouement pour les « collections scientifiques » et la classification des espèces. Le suédois Carl Von Linné met en place une classification au sein de laquelle chaque espèce est désignée par un nom de genre et un nom d’espèce. En France, on peut citer les noms de Guy de la Brosse, de Joseph Pitton de Tournefort , de Philibert Commerson et bien évidemment du comte de Buffon parmi la cohorte de savants ayant fait progressé cette science nouvelle appelée « histoire naturelle ».

De cette époque sans doute, nous gardons un goût pour les « collections », les « inventaires » et les « classifications » d’espèces. Ainsi, le terme de « biodiversité« , repris dans la loi du 8 août 2016, désigne le plus souvent, dans la pratique, une liste d’espèces animales et/ou végétales. Par exemple, la compensation écologique doit permettre une « absence de perte nette de biodiversité » dans les projets d’aménagement. Or, à part de nombre d’espèces, qu’y-a-t-il de facilement quantifiable dans la biodiversité ?

Voici donc une première vision de la protection de la nature : assurer la pérennité de toute la collection des espèces présentes à un moment donné. D’où les Listes rouges qui mettent en évidence les espèces les plus menacées. Pour ces dernières, on envisage des actions de sauvegarde qui parfois fonctionnent (ex : la Loutre d’Europe) et parfois non (ex : le Râle des genêts).

Nature : du romantisme au parc de Yellowstone

Dès la fin du XVIIIème siècle puis au début du XIXème, sans doute en réaction au « progrès » et à la « raison », naît et se développe le romantisme. On recherche l’évasion individuelle dans la nature sauvage, loin des allées bien droites et bien organisées du Jardin des plantes ! Cette nouvelle vision de la nature se retrouve dans le parc de Yellowstone : premier parc national, créé dès 1872, il protège de toute influence humaine (hormis, désormais, le tourisme !) une superficie supérieure à celle d’un département français.

Là, dans d’immense et somptueux paysages naturels vivent wapitis, élans, ours noirs et bisons. Le loup, absent depuis les années 1930, a été réintroduit avec succès dans les années 1990. Le but de cette réintroduction était de rétablir un équilibre « naturel » entre grands prédateurs et grands herbivores. Ces derniers avaient en effet tendance à trop pâturer les milieux, faisant régresser la forêt au profit de la prairie…

La rivière Yellowstone (photo : Clarence Alford)

En France, on peut citer la Réserve biologique intégrale de la forêt de Fontainebleau. Crée en 1953 dans la continuité de la « réserve artistique » de 1861, elle est interdite au public et toute intervention humaine y est interdite, hormis des études scientifiques. La forêt évolue ici naturellement, au rythme du vieillissement des arbres et de la régénération naturelle.

Voici donc une seconde vision de la nature : de très vastes écosystèmes qui fonctionnent sans intervention de l’Homme (ou presque). Les interactions multiples et complexes entre les êtres vivants, en un mot la « naturalité », compte ici davantage que le nombre d’espèce ou la conservation d’espèces rares.

Intervenir ou non ?

En France, l’écosystème « naturel » est l’écosystème forestier : c’est celui qui s’imposerait « naturellement » si on laissait faire la nature. L’écosystème forestier comprend de nombreux insectes xylophages, champignons, oiseaux cavernicoles (pics, sittelles, mésanges…), mammifères et, en haut de la chaîne alimentaire, le loup et l’ours.

Les milieux ouverts sont, en France, indissociables de l’activité agricoles

A l’opposé, la prairie, entretenue par l’Homme, est riche en fleurs (dont les orchidées), en orthoptères (criquets, sauterelles…) et en oiseaux insectivores (tariers, alouettes, pie-grièches…). C’est un écosystème riche en espèce mais assez fragile.

Entre les deux, la friche présente elle aussi ses particularités.

Alors, faut-il intervenir pour maintenir une grande diversité de milieux et préserver un maximum d’espèces ? Ou bien protéger de toute influence des parcelles de territoires pour retrouver le milieu le plus naturel possible ? Pour certains, le meilleur « soin » à apporter à la nature est de ne rien faire. Pour d’autres, l’Homme peut restaurer ce qu’il a dégradé.

Et vous, quel est votre avis ?

3 réponses
  1. Pat32
    Pat32 dit :

    Bonjour,

    Le « laisser faire la nature » peut être tentant, mais comme vous le dîtes, cela reviendrait à favoriser dans quasiment toutes les situations des écosystèmes forestiers, ce qui irait de pair avec la perte de populations, voire d’espèces de type « milieu ouvert ».

    Finalement cela revient à se poser la question de savoir jusqu’à quel point les espèces de milieux ouverts qui nous sont aujourd’hui familières ont pu profiter de la présence des êtres humains pendant ces derniers millénaires. Comment étaient les aires de répartition de ces espèces à la sortie de l’âge glaciaire (par exemple); que pouvaient être à ces époques lointaines les effectifs des populations : beaucoup plus faible qu’aujourd’hui? ou à peine plus faible qu’aujourd’hui? Certaines espèces étaient-elle carrément absentes ? Existe-t-il des études là-dessus, du moins pour certaines espèces?

    Mais ce qui complique encore plus la donne, c’est qu’on ne pourrait pas retrouver exactement les milieux de ces époques reculées, à moins de réintroduire certains grands herbivores comme certains le proposent. Cela présenterait aussi l’avantage, avec de tels pensionnaires dans nos paysages, d’enrayer la tendance des écosystème de France – dans ce scénario du laisser faire – à se transformer quasiment partout en forêt.

    Mais tant qu’à faire il faudrait aussi réintroduire les grands prédateurs pour rééquilibrer un peu … ou beaucoup tout ça. Je me souviens d’un texte de Aldo Leopold qui raconte l’histoire d’une montagne en Amérique, qui suite à l’extermination de son dernier ours, a vu sa végétation radicalement changer d’aspect du fait que les grands herbivores avaient pu alors proliférer.

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    • Emilien Barussaud
      Emilien Barussaud dit :

      On a en effet du mal à imaginer une France couverte de forêts. Je me demande toujours quelle était la place d’espèces comme l’Alouette des champs, le Lièvre d’Europe ou les campagnols avant que les champs n’occupent une place significative dans nos paysages. Ce sont là des questions bien complexes. Si vous trouvez des éléments qui permettent d’y voir plus clair, n’hésitez pas à les poster ici. Quoiqu’il en soit, je vous remercie pour votre message !

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      • Pat32k
        Pat32k dit :

        Merci pour votre réponse. Pas facile en effet d’avoir ne serait qu’une idée de la répartition de ces espèces et de bien d’autres à ces époques reculées. Si de mon côté j’arrive à en savoir plus je vous fais signe!

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