Espèces menacées : une question d’échelle ?

L’analyse des populations animales (effectifs, répartition) permet de mettre en évidence les espèces qui se portent bien et celles qui sont plus ou moins menacées. Des listes rouges sont ainsi établies à l’échelle mondiale, à l’échelle nationale ou encore régionale. Or, que constate-t-on ? Que le statut de conservation varie fortement selon l’échelle considérée. Explications.

Trois fois plus d’espèces d’oiseaux menacées en France… qu’en Europe !

La dernière liste rouge des oiseaux nicheurs de France, publiée en 2016, comporte 16 espèces « en danger critique d’extinction », 30 espèces « en danger » et 46 espèces « vulnérables ». Soit un total de 92 espèces menacées à l’échelle nationale. Or, si l’on regarde maintenant les résultats à l’échelle européenne, on trouve qu’il y a « seulement » 67 espèces menacées à l’échelle du continent. Rapportés au nombre d’espèces total, l’écart est encore plus flagrant : 32 % d’espèce menacées en France contre 12,5 % à l’échelle de l’Europe.

Comparaison du nombre d’espèces menacées sur les listes rouges de France et d’Europe

Le passage de l’échelle nationale à l’échelle européenne divise quasiment par 3 la proportion d’espèces menacées. Il en va de même pour la plupart des autres groupes d’animaux (voir tableau ci-dessous). Par exemple, le Pélobate brun, un amphibien considéré comme « en danger » en France est classé comme « préoccupation mineure » en Europe.

Quelques exemples d’espèces menacées en France : comparaison avec leur situation en Europe et dans le monde

L’explication de cet écart entre la situation en France et en Europe vient de l’aire de répartition. Penchons nous par exemple sur le cas emblématique du Râle des genêts (Crex crex), espèce considérée comme « en danger » en France et dont les effectifs français ne cessent de diminuer. La France constitue la limite sud-ouest de l’aire de répartition de l’espèce. Cette aire de répartition est par ailleurs immense puisqu’elle couvre l’Europe centrale, l’Europe de l’Est, la Russie, une partie de la Scandinavie. L’espèce peut donc très bien être en danger sur la marge de cette aire (en France par exemple) sans pour autant être menacée à l’échelle continentale.

Aire de répartition du Râle des genêts, d’après Birdlife International

Souvent d’ailleurs, les populations d’une même espèce évoluent différemment d’un pays à l’autre. Par exemple, le Chardonneret élégant, qui est en net déclin en France, connait une forte augmentation en Angleterre depuis la fin des années 1990. En revanche le Pinson des arbres qui se porte bien en France diminue fortement outre-Manche.

Les listes rouges nationales représentent donc la situation sur une part réduite de l’aire de répartition des espèces, sans préjuger de ce qui se passe ailleurs. Il en va de même pour les listes rouges régionales.

Des espèces menacées à l’échelle mondiale… mais pas locale ?

Si il est logique que des espèces paraissent plus menacées à l’échelle locale qu’à l’échelle globale, le contraire est plus surprenant. Nous listons ci-dessous quelques cas étonnants d’espèces considérées comme menacées à l’échelle mondiale ou européennes mais qui se portent bien – ou du moins « mieux » – à l’échelle de la France ou de l’une de ses régions.

Quelques exemples d’espèces plus menacées à l’échelle mondiale ou européenne que nationale ou régionale

Ainsi, le Fulmar boréal ou le Campagnol amphibie sont plus menacés en Europe qu’en France. Et des espèces qui se portent localement bien peuvent avoir un statut défavorable à l’échelle mondiale comme la Loutre d’Europe ou le Grand Capricorne. Ces résultats peuvent certes paraître contradictoires mais ils sont compréhensibles dès lors que l’on connaît les critères utilisés. Par exemple : la diminution de la population (critère A de l’UICN) peut être forte à l’échelle globale sans pour autant affecter tous les pays ou toutes les régions où l’espèce est présente.

De même, une aire de répartition (critère B de l’UICN) n’est pas considérée de la même manière selon l’échelle : en France, le Campagnol amphibie semble largement réparti (il n’est absent que dans l’extrême Nord et Est) mais à l’échelle mondiale, son aire de répartition (France + péninsule ibérique) paraît bien limitée !

Eider à duvet : un exemple d’espèce qui se trouve, en France, en limite de son aire de répartition.
Image par Per-Arne Larsen de Pixabay

Endémisme et insularité : les principaux facteurs de menace

Nous avons vu que la majorité d’espèces considérées comme menacées en France ne le sont pas à l’échelle européenne et encore moins l’échelle mondiale. Cela s’explique par le faible nombre d’espèces endémiques en France métropolitaine. De fait, quasiment toutes les espèces présentes en France sont aussi répandues dans le reste de l’Europe, parfois aussi en Afrique du Nord ou au Moyen-Orient.

Pour rappel, une espèce est dite endémique lorsqu’elle ne se trouve que dans un seul endroit du monde. En pratique, l’endémisme existe principalement sur les îles. Ces espèces à l’aire de répartition très limitée sont particulièrement vulnérable, que ce soit aux perturbations anthropiques ou aux variations climatiques sur le long terme.

Si l’on considère la liste des espèces d’oiseaux disparues dans le monde, on constate qu’une écrasante majorité de ces espèces étaient des espèces endémiques de « petites » îles : Chevêche de l’île Maurice, Merle de Grande Caïman, Monarque de Maupiti, Foudi de la Réunion, Canard de l’île d’Amsterdam, Huppe de Sainte-Hélène, Engoulevent de la Jamaïque, etc.

L’île Maurice est riche en espèces endémiques ; certaines ont disparu lors des siècles passés. Image par Bernard_Loo de Pixabay

Nous remarquons aussi qu’en France, beaucoup d’espèces menacées à l’échelle nationale sont des espèces nichant sur des îles ou des îlots : le cas le plus connu est celui du Macareux moine, mais on peut aussi citer l’Eider à duvet, la Sterne de Dougall, le Pingouin torda ou encore le Puffin des Anglais…

Si le statut de conservation des espèces varie fortement selon l’échelle géographique considérée, les espèces endémiques et/ou insulaires semblent particulièrement sensibles. Une attention particulière devrait être portée à ces espèces. Une liste rouge spécifique pourrait par exemple les recenser et les classer selon le nombre d’îles occupées, la superficie et l’isolement de ces dernières.

Image à la une : Macareux moines par Frank Liebmann de Pixabay

3 réponses
  1. Pat32
    Pat32 dit :

    Bonjour,

    J’avais entendu dire (de la bouche de certains spécialistes de la conservation) que les efforts de protection des espèces devaient cibler avant tout les populations en limite d’aire de répartition, l’argument étant, si je me souviens bien, que ces populations sont davantage vulnérables et que du coup le risque d’extinction, du moins locale, est plus élevé.
    Pourtant il me semble que cette approche est discutable. Ne pourrait-on pas considérer qu’il est normal que certaines populations en limite d’aire de répartition occupent des habitats pas tout à fait optimaux et donc soient naturellement davantage vulnérables ? Les effectifs de ces populations périphériques ne sont-ils pas soumis à des fluctuations naturelles en dents de scie plus fréquemment que les autres populations? Ces fluctuations ne seraient alors pas forcément la conséquence d’une pression anthropique.

    Répondre
    • Emilien Barussaud
      Emilien Barussaud dit :

      Bonjour,
      Oui, vous soulevez là une question très intéressante : faut-il mettre l’accent sur la conservation des espèces en limite d’aire de répartition ? Les fluctuations de l’aire de répartition à la marge est quelque chose de naturel. Quelques cas sont particulièrement spectaculaire comme celui de la Cisticole des joncs dont l’aire de répartition a fortement varié en France au cours du vingtième siècle, avec des phases de « conquête » et de « régression » (ces dernières, surtout liées aux hivers froids). Bien évidemment, les naturalistes et les gestionnaires locaux n’aiment pas voir une espèce disparaître de « leur » territoire, ce qui est compréhensible. De manière générale, mon point de vue est qu’on ne doit pas se focaliser sur telle ou telle espèce mais essayer avant tout de conserver des milieux, surtout les milieux rares comme les tourbières, les marais ou les îlots rocheux… Les fluctuations des espèces sont très complexes et souvent difficiles à expliquer mais une chose est certaine : toutes ont besoin avant tout de milieux favorables à leur reproduction.

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      • Pat32
        Pat32 dit :

        Merci pour votre réponse, oui en effet on peut être attaché à la protection d’une espèce sur son territoire ; en gros cela consisterait, pour reprendre un de vos exemples, à défendre non pas tant le Râle des genêts que « notre » Râle des genêts, ce qui est un point de vue qui se défend… ou pas.

        Et, oui la protection des milieux est à mon avis aussi à privilégier comme vous l’avez expliqué ailleurs dans votre blog.

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