Le domaine vital des oiseaux : une donnée clé pour les études d’impacts

Qu’est-ce que le domaine vital et comment l’évaluer ?

On appelle « domaine vital » l’espace utilisé par un oiseau ou un couple d’oiseaux au cours d’une saison. Il s’agit généralement de la saison de reproduction, durant laquelle les oiseaux sont cantonnés à proximité de leur nid. En période de migration et d’hivernage, la plupart des espèces effectuent des déplacements au gré des conditions météorologiques et des disponibilités en ressources alimentaires.

Le domaine vital ne doit pas être confondu avec le territoire, ce dernier étant plus petit. Le territoire est défendu contre les autres oiseaux, tandis que le domaine vital peut être en partie partagé avec des congénères. Ainsi, les domaines vitaux de deux couples d’une même espèce peuvent se chevaucher en partie.

Si la taille d’un domaine vital peut être estimé à partir d’observations de terrain régulières, la méthode la plus adaptée pour obtenir des données précises est le radiopistage, qui consiste à « marquer » les individus avec un émetteur afin de suivre leurs déplacements. Ce type de travail a par exemple été réalisé en Brière, à propos de la Gorgebleue à miroir, passereau réputé territorial (Grégoire, 2013 ; Monnet, 2014 ; Godet et al., 2015 ; Dietrich, 2015). Ce type d’étude – qui demande beaucoup de temps et de matériel – n’a pas systématiquement été réalisé pour toutes les espèces.

A défaut, on peut avoir recours à de simples estimations de densités, à savoir x couples pour y hectares, soit y/x hectares en moyenne par couple. Cette valeur est toutefois à prendre avec précaution car les densités minimales sont souvent obtenues dans des paysages hétérogènes où une partie des habitats ne conviennent pas à l’espèce. Ainsi, un auteur peut annoncer 4 couples de Fauvette à tête noire pour 10 hectares de terrain (soit 2,5 ha/couple), mais sans préciser si il s’agit de 10 hectares d’habitats potentiellement favorables à l’espèce ou non. Si 4 des 10 hectares sont, par exemple, des champs de maïs, la densité « réelle » serait plutôt de 4 couples pour 6 ha, soit 1,5 ha/couple. Ainsi, pour chaque espèces, seules la densité maximale (donc, la superficie minimale par couple) donne une information pertinente car elle est obtenue au sein de milieux qui sont a priori optimaux. La superficie moyenne par couple peut parfois être inférieure à la taille du domaine vital en raison des chevauchements de domaines vitaux.

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Exemple de domaines vitaux avec vides et avec chevauchements au sein d’un habitat favorable

La question du domaine vital dans les études d’impacts

Pour évaluer l’impact d’un projet d’aménagement sur des populations d’oiseaux, il est indispensable de connaître a minima l’ordre de grandeur des domaines vitaux des espèces présentes. En effet, la destruction d’un hectare d’habitat n’a pas le même impact sur une espèce selon que son domaine vital est de 1 ha ou de 100 ha.

Par ailleurs, l’arrêté du 29 octobre 2009 indique que la protection des espèces porte à la fois sur les espèces, mais aussi sur leurs habitats. Citons l’article 3, aliéna 2 :

« Sont interdites sur les parties du territoire métropolitain où l’espèce est présente ainsi que dans l’aire de déplacement naturel des noyaux de populations existants la destruction, l’altération ou la dégradation des sites de reproduction et des aires de repos des animaux. Ces interdictions s’appliquent aux éléments physiques ou biologiques réputés nécessaires à la reproduction ou au repos de l’espèce considérée, aussi longtemps qu’ils sont effectivement utilisés ou utilisables au cours des cycles successifs de reproduction ou de repos de cette espèce et pour autant que la destruction, l’altération ou la dégradation remette en cause le bon accomplissement de ces cycles biologiques. »

La dernière partie de ce texte démontre bien la nécessité de prendre en compte la notion de domaine vital afin d’estimer si le bon accomplissement des cycles biologiques est remis en question. Il ne s’agit toutefois pas uniquement d’estimer si la surface de milieu impacté est supérieure, égale ou inférieure au domaine vital d’une espèce. Il faut également prendre en compte la question de la continuité des habitats, du caractère spécialiste ou généraliste des espèces, des impacts indirects comme le bruit ou le dérangement.

Par ailleurs, l’ordre de grandeur du domaine vital est également une donnée indispensable pour comprendre à quelle échelle mener une étude. Dans le cas d’un parc éolien, par exemple, le domaine vital des rapaces – groupe particulièrement sensible au risque de collision avec les pales – doit aider à définir la superficie de la zone d’étude.

Voici donc ci-dessous un tableau récapitulatif des données relatives au domaine vital et à la densité pour une vingtaine d’espèces d’oiseaux. Nous avons regroupé ces espèces en 4 grands ensembles, par ordre de grandeur du domaine vital. Ainsi, pour les petits passereaux, le domaine vital est de l’ordre de 1 hectare. Pour les colombidés, on peut retenir un ordre de grandeur de 5 hectares. Pour les pics et rapaces nocturnes, 100 hectares. Enfin, pour les rapaces diurnes « communs » (Buse, Faucon crécerelle et Epervier), 500 hectares.

Tableau d’estimation des domaines vitaux des espèces d’oiseaux d’après les données bibliographiques disponibles

Au delà des écarts entre valeurs minimales et maximales, ce tableau montre une certaine homogénéité au sein des quatre groupes définis. Il montre aussi que la conservation des pics et des rapaces se jouent à une échelle bien différente de celle des petits passereaux.

Quel niveau de complétude pour l’atlas des libellules de Bretagne ?

Après l’atlas des papillons de Bretagne et celui des amphibiens et reptiles de Loire-Atlantique, nous avons appliqué la méthode P.A.C au récent « Atlas des libellules de la Bretagne à la Vendée ». Pour rappel, cette méthode, mise au point par notre bureau d’études, permet d’évaluer le niveau de prospection (ou complétude) des atlas de biodiversité.

Faute d’avoir accès au tableau des données brutes (présences mailles / espèces), nous n’avons pu traiter que 20 mailles car le traitement de chaque maille prend du temps. Sur ces 20 mailles traitées :

  • 9 montrent un niveau de prospection satisfaisant
  • 2 montrent une légère sous-prospection
  • 4 une sous-prospection moyenne
  • et 5 une forte sous-prospection

La méthode utilisée est présentée en détail dans cet article.

Ce nouvel exemple d’application montre que les résultats ne sont pas dépendants de la zone biogéographique traitée :

  • on trouve aussi bien des mailles fortement sous-prospectées dans le Finistère nord que dans le Centre Bretagne ou dans l’Est de la Loire-Atlantique et de la Vendée
  • à l’inverse, on trouve des mailles à prospection satisfaisante dans chacun des six départements
  • la proximité de la côte, la latitude et la continentalité ne semblent pas influer sur les résultats

On peut donc dire que l’indice P.A.C (Probabilités d’Absences Cumulées) semble bien indépendant du contexte biogéographiques, ce qui était le but initialement recherché. Dans ce sens, il s’agit donc d’un indice pertinent pour l’évaluation de la complétude des inventaires faune / flore.

Niveau de prospection des mailles de l’Atlas des libellules de la Bretagne à la Vendée, d’après la méthode P.A.C (B.E.T, 2024)

En 2023, une nouvelle liste rouge des oiseaux nicheurs de Bretagne

Même si cette liste rouge, fruit de plusieurs années de travail de l’ORA, de Bretagne Vivante et du GEOCA, s’intitule « Liste rouge 2021 des oiseaux nicheurs menacés en Bretagne et responsabilité biologique régionale« , c’est bien en août 2023 qu’elle a été rendue officielle.

Elle présente les statuts de conservation des espèces nicheuses dans notre région, selon la méthodologie de l’UICN. L’analyse porte sur des données collectées de 2015 à 2021 et concerne 178 espèces.

Parmi ces 178 espèces, 76 sont considérées comme menacées. Parmi les espèces les plus menacées (catégorie « danger critique« ), notons le Busard cendré, la Locustelle luscinoïde ou encore la Sterne de Dougall. Le Bruant jaune, le Bruant proyer et le Grimpereau des bois sont considérés comme « en danger » tandis que des espèces qui semblent (ou semblaient) encore communes comme le Moineau domestique ou le Verdier d’Europe sont désormais considérées comme « vulnérables« .

La liste rouge est à télécharger ici.

Le Bruant jaune, une espèce désormais considérée comme « en danger » en Bretagne

Inventaire des reptiles : comparaison de la méthode « avec plaques » et de la méthode « à vue »

Les reptiles sont des animaux généralement discrets que le naturaliste peut avoir des difficultés à détecter. Nous avons déjà précédemment évoqué sur ce blog les avantages et inconvénients de la méthode des plaques à reptiles (voir ici). Dans cet article, nous allons comparer l’efficacité de la méthode « avec plaques » avec celle de la méthode de recherche « à vue », c’est-à-dire en se déplaçant le long des milieux favorables, généralement les lisières.

Des données concernant 12 espèces (Lézards, Couleuvres, Vipères…)

Nous avons compilé les résultats de 6 études où la méthode « plaques » et la méthode « à vue » ont été utilisées en parallèle. Nous avons, pour chaque espèce, noté le nombre de données obtenues « avec plaques » (animal vu sous ou sur une plaque) et le nombre de données obtenues par l’observation directe « à vue ». Notons au passage qu’il est difficile de réaliser une prospection strictement égalitaire entre les plaques et les observations à vue car on ne peut pas faire correspondre à un nombre de plaques un nombre « équivalent » de mètres parcourus… Ajoutons enfin qu’un manque d’expérience ou d’attention de l’observateur fait fortement chuter les résultats « à vue » alors qu’il est sans effet sur les résultats de la méthode avec plaques. L’efficacité relative de cette dernière a donc tendance à être surestimée dans les résultats qui suivent.

Nous présentons ci-dessous le résultat en terme de pourcentage d’observations sous plaques par rapport au total des observations, espèce par espèce et étude par étude. Le tableau des données brutes figure pour information en fin d’article.

Notons que sur les 12 espèces étudiées, l’Orvet fragile et la Coronelle lisse sont les seules espèces pour lesquelles l’utilisation des plaques s’avère indispensable. En revanche, la méthode des plaques ne présente quasiment pas d’intérêt pour les lézards. Les autres espèces sont dans une situation intermédiaire, avec une tendance « plaques » pour les Couleuvres et une tendance « à vue » pour les Vipères.

Notre expérience

Les résultats de cette compilation de données sont en adéquation avec les observations que nous réalisons depuis une quinzaine d’années en Bretagne et Pays de la Loire :

  • La Coronelle lisse est en effet quasiment impossible à détecter à vue mais utilise bien les plaques
  • L’Orvet fragile est l’espèce que nous observons le plus fréquemment sous plaque tandis que sa détection sans plaque est très aléatoire
  • Le Lézard des murailles, le Lézard à deux raies et le Lézard vivipare ne nécessitent pas l’utilisation de plaques : l’observation directe des murets, des talus et des lisières ensoleillés permet de détecter facilement ces espèces
  • Lors des prospections à vue, nous observons assez régulièrement les Vipères aspic et péliade et parfois la Couleuvre helvétique. L’utilisation des plaques apporte peu de données supplémentaires pour ces espèces.

Ci-dessus, quelques photos réalisées par Émilien Barussaud ; de haut en bas et de gauche à droite : Coronelle lisse sous plaque (Morbihan), deux Orvets fragiles sous plaque (Morbihan), observation d’une Couleuvre helvétique à vue (Loire-Atlantique), Lézard vivipare dans une clairière forestière (Loire-Atlantique), combat de Lézards à deux raies mâles (Morbihan), Vipère aspic trouvée à vue dans le bocage (Loire-Atlantique) et enfin deux Vipères péliades observées à vue dans des secteurs de landes (Morbihan et Finistère)

Annexe : tableau des données brutes

Que valent nos atlas de biodiversité ? La méthode P.A.C donne ses premiers résultats

La méthodes de Probabilités d’Absences Cumulées permet d’évaluer le niveau de prospection des atlas : oiseaux, papillons, mammifères, reptiles, amphibiens… Cette méthode a été progressivement mise au point par notre bureau d’études depuis 2020. En 2021, nous en présentions le principe dans l’article suivant : Atlas de biodiversité : comment repérer des zones sous-prospectées.

En 2022-2023, B.E.T a accueilli un stagiaire pour tester cette méthode sur deux atlas de biodiversité récents : celui des papillons de Bretagne et celui des reptiles et amphibiens de Loire-Atlantique. Grâce au travail réalisé par Louis, nous pouvons aujourd’hui présenter notre méthode accompagnée de ces premiers résultats. L’article est téléchargeable avec le lien ci-dessous :

Téléchargez ici : Article_Methode_PAC_Atlas_Biodiversite_BET_mai_2023

Lézard des murailles : statut de protection, risques de destruction, démarche ERC

Votre projet d’aménagement impacte une population de Lézards des murailles (Podacris muralis) : que faire ? Voici en plusieurs étapes les démarches à réaliser.

Le Lézard des murailles : une espèce protégée

Comme la quasi-totalité des reptiles, le Lézard des murailles est une espèce protégée en France. L’arrêté du 8 janvier 2021 indique qu’il est interdit de capturer ou de détruire cette espèce mais aussi de détruire, d’altérer ou de dégrader ses habitats (art. 2). Cette espèce est par ailleurs commune et il n’est pas rare de la trouver dans des friches industrielles, des maisons en ruine, des tas de gravats ou encore des remblais recolonisés par la végétation. Cette espèce est donc fréquemment présente dans des secteurs momentanément abandonnés où sont prévues des opérations d’aménagement : requalification urbaine, réhabilitation de friche, etc.

Identifier et localiser le Lézard des murailles

Le Lézard des murailles est assez facile à observer mais son identification peut, dans certains cas, poser problème. Il s’agit d’un petit lézard assez terne, souvent observé sur les murs, les terrasses et les talus bien ensoleillés. La confusion est possible avec le Lézard vivipare et, dans le sud de la France, avec le Lézard hispanique. Un naturaliste, issu d’un bureau d’étude ou d’une association, saura reconnaître l’espèce. Mars et avril sont les meilleurs mois pour effectuer les recherches : à la sortie de l’hiver, les individus s’exposent longuement au soleil pour se chauffer. L’espèce reste visible quasiment toute l’année, pour peu que le soleil soit généreux. Les observations sont toutefois rares de novembre à la mi-février.

Il est important de réaliser une cartographie (sur photo aérienne) des observations réalisées lors de 2 ou 3 passages sur le terrain. Cela permettra d’estimer la surface d’habitats favorables impactés par votre projet. Le Lézard des murailles a un domaine vital de petites dimensions : de 10 à 100 m². Parfois, un simple tas de pierres ou de branches dans un environnement par ailleurs peu favorable leur suffit.

La démarche ERC (éviter, réduire, compenser) appliquée au lézard des murailles

Si votre projet d’aménagement impacte des Lézards des murailles, vous devez faire une demande de dérogation : voici la marche à suivre.

Ce dossier comprend l’évaluation des impacts et la mise en place de mesures d’évitement, de réduction et de compensation (= la démarche ERC). Pour évaluer les impacts, il importe de superposer votre projet à la carte de localisation des observations. Si tous les habitats occupés par le Lézard des murailles sont détruits, la survie de l’espèce sera compromise, ce qui compliquera l’obtention de la dérogation. Il importe donc d’éviter ses habitats, a fortiori si ils abritent également d’autres espèces protégées. Ainsi, un chemin creux dont les talus servent au Lézard des murailles devra être conservé en priorité, d’autant que des oiseaux ou d’autres reptiles peuvent également y vivre. Inversement, un tas de gravats présente moins d’intérêt pour la faune en général, même si notre lézard, peu exigeant, peut l’avoir colonisé.

Les mesures d’évitement et de réduction (adaptation de l’emprise du projet, balisage, opération de sauvetage avant travaux…) ne peuvent pas toujours garantir l’absence d’impacts résiduels. Il peut donc être nécessaire de prévoir des mesures de compensation. Pour notre Lézard des murailles, les solutions peuvent être relativement simples, compte tenu de ses faibles exigences écologiques et de son domaine vital de petites dimensions. Citons par exemple la création d’un muret de pierres sèches : cet habitat est typiquement favorable à l’espèce et peut, de surcroît, présenter un intérêt esthétique dans une zone d’habitations. Sur un site moins fréquenté, des tas de pierres entourés de végétation herbacée feront l’affaire. Enfin, la création d’une haie buissonnante sur un talus bien exposé au soleil peut être une bonne mesure de compensation pour le lézard et d’autres espèces animales.

Photos : Émilien Barussaud

Nouveaux quartiers : comment favoriser la biodiversité

Il est de plus en plus demandé aux urbanistes d’intégrer la biodiversité dans les projets de nouveaux quartiers. La loi « climat et résilience » du 22 août 2021 (voir ici) renforce encore cette obligation : lutte contre l’artificialisation des sols, préservation et restauration de la biodiversité, nature en ville, etc.

Point de départ : l’observation

L’Hirondelle rustique (Hirundo rustica) construit son nid dans les bâtiments. Cette espèces est protégée. (photo : E.Barussaud)

Dans la plupart des cas, même en ville, des espèces animales et végétales sont déjà présentes sur les sites que l’on souhaite aménager ou transformer. Elles forment des écosystèmes plus ou moins complexes et plus ou moins riches en espèces. Ainsi, les vieux bâtiments d’une friche industrielle peuvent abriter des nids d’oiseaux, des plantes peuvent coloniser un ancien parking ou encore des reptiles peuvent s’être installés sur une voie de chemin de fer désaffectée.

Il faut donc avant tout réaliser un inventaire des espèces et des habitats existants, aussi appelé « état initial ». Cette étape est d’autant plus indispensable que beaucoup d’espèces animales, mêmes communes, sont protégées par la loi, de même que les habitats dont elles dépendent. Par ailleurs, plutôt que de vouloir « créer » de la biodiversité à partir de rien, mieux vaut s’appuyer sur l’existant : telle haie qui pourrait être conservées, telle prairie qui pourrait être améliorée, etc.

Les écosystèmes ont besoin de temps pour se mettre en place. Si vous pouvez préserver certains éléments (sol, talus, plantes), cela représentera du temps de gagné.

La biodiversité : une construction hiérarchisée

Parmi les éléments qui constituent un écosystème, le sol joue un rôle déterminant. Ses caractéristiques (profondeur, ressource en eau, pH, nutriments, exposition) déterminent le type de végétation qui va pouvoir s’y développer. Si l’on ne dispose que d’un sol peu profond avec de faibles ressources en eau et exposé au vent – comme sur un toit de bâtiment où une zone d’affleurement rocheux – mieux vaut s’inspirer des écosystèmes de milieux pionniers et rupicoles. Sur un sol un peu plus profond, avec un pH acide, on pourra créer une lande à ajoncs et bruyères. Enfin, si l’on dispose d’une situation abritée, d’une grande superficie et de sols profonds, on pourra s’inspirer des écosystèmes de type forestier.

La végétation – vivante et en décomposition (humus) – conditionne largement la faune invertébrée : collemboles, vers de terre, insectes, etc. La faune invertébrée et la végétation permettent la présence d’une faune vertébrée qui occupe le sommet de la chaîne alimentaire : oiseaux, mammifères, reptiles… Pour recréer un écosystème, il faut donc se préoccuper en premier lieu du sol, puis de la végétation et en dernier lieu de la faune, laquelle colonise spontanément le milieu lorsque les deux premiers éléments sont réunis.

Rappelons que les invertébrés constituent la très grande majorité de la biodiversité animale. Les insectes à eux-seuls comptent environ 40.000 espèces en France contre 1.500 espèces pour tous les vertébrés réunis (oiseaux, reptiles, mammifères…). Enfin, la flore française compte environ 10.000 plantes vasculaires. Ce sont donc les plantes et la faune invertébrée qui constituent environ 99 % de la biodiversité dans tout écosystème.

Ajoutons enfin que les éléments qui constituent les écosystèmes (un sol, une haie, une mare, un insecte…) remplissent chacun plusieurs fonctions. Une mare, par exemple, est nécessaire à la vie des coléoptères aquatiques et des plantes hygrophiles, elle permet la reproduction des amphibiens et des libellules, elle permet aux oiseaux de boire lors des épisodes de sécheresse, etc. Un campagnol, en plus de nourrir rapaces et renards, creuse des terriers et ronge la végétation, transformant ainsi le milieu.

Hôtels à insectes, nichoirs, micro-forêt : de bonnes idées ?

Les nichoirs sont presque toujours utilisés par les deux ou trois même espèces très communes comme cette Mésange bleue. Si son intérêt écologique est limité, il peut avoir une fonction pédagogique voire, comme ici, esthétique (photo : E.Barussaud)

Après ce rappel, on peut donc légitimement s’interroger sur l’intérêt d’éléments tels que les hôtels à insectes ou les nichoirs à oiseaux. D’une part, ces « outils » n’ont qu’une seule fonction (« loger » les insectes ou les oiseaux) contrairement aux éléments naturels qui, comme nous venons de le voir, en ont plusieurs. D’autre part, ces éléments « s’adressent » à des espèces communes et qui trouveraient facilement ces fonctions dans un écosystème naturel. Un tas de pierres, un coin de prairie non fauché ou une vieille souche d’arbre feront aussi bien qu’un « hôtel à insecte ». Enfin, ces éléments sont souvent mal positionnés dans le paysage : hôtel à insecte sur un rond-point, nichoir sur une façade exposée aux intempéries, etc. On se demande parfois si le but de ces installations est d’être utilisées par les animaux… ou bien d’être remarquées par les promeneurs. Des nichoirs ou des gîtes à chiroptères discrètement intégrés dans des bâtiments seront bien plus utiles (voir ici pour des exemples).

Quant à la « micro-forêt urbaine » – qui suscite aujourd’hui un certain engouement – il s’agit d’un abus de langage, voire d’un oxymore. Par définition, la forêt est un écosystème qui nécessite de l’espace (plusieurs hectares au minimum) et du temps sans intervention humaine (plusieurs dizaines ou centaines d’années). On comprend facilement qu’une forêt ne peut être ni « micro », ni « urbaine ». Il est en revanche possible de s’inspirer des forêts pour recréer des écosystèmes ressemblants sur les sites où la situation le permet : sols profonds, superficie suffisante, zone peu fréquentée… tout en gardant à l’esprit les limites de l’exercice et la véritable définition d’une forêt !

Avoir des objectifs réalistes

Si l’on souhaite réintroduire de la biodiversité en ville, il faut donc :

  • observer et inventorier l’existant
  • connaître le fonctionnement d’un écosystème
  • se fixer des objectifs réalistes

Ce dernier point est important. Un projet comporte toujours des contraintes : cela peut être une situation géographique défavorable (enclavement), le passé du site (sols artificialisés en profondeur ou pollués) ou encore une densité de bâtiments imposée. On ne peut pas « importer » n’importe quel écosystème sur un site, qui plus est en zone urbaine. Par exemple, beaucoup d’animaux sont trop sensibles au dérangement (promeneurs, bruits, lumières artificielles…) pour vivre dans un quartier densément peuplé. C’est par exemple le cas des oiseaux d’eau, des grands mammifères, de certaines chauves-souris, etc. D’autres ont besoin de vastes milieux naturels pour réaliser leur cycle biologique (espèces montagnardes, paludicoles, strictement forestières, etc.). Seule une faible proportion des espèces animales peuvent supporter un environnement urbain.

Macro-homogénéité et micro-hétérogénéité

Créer un environnement favorable à la biodiversité est un exercice complexe. Une des règles à respecter pourrait être de conserver une certaine homogénéité (ou continuité) à l’échelle du site, tout en favorisant une micro-hétérogénéité à une échelle très fine. Si l’on souhaite par exemple crée un écosystème de type bocager, le site se composera essentiellement de haies et de prairies (macro-homogénéité) mais comportera aussi des variations dans la composition et l’exposition des haies, dans la date et la fréquence de fauche des différentes parcelles, etc.

Ci-dessous, nous présentons deux exemples d’aménagement pour un espace vert d’environ 5.000 m² (= 0,5 ha). Ces deux aménagements sont réalisés avec exactement le même nombre d’arbres, d’arbustes et de buissons. Dans le premier cas, on a cherché à créer plusieurs milieux : un boisement à l’ouest, une prairie au centre, une lande au sud-est… Résultat : chacun de ces milieux est de petite superficie : le boisement couvre 800 m², la lande 400 m²… L’intérêt du site est donc faible pour des espèces typiques de la forêt ou typiques de la lande. En effet, ces 800 m² ou 400 m² sont bien en-dessous de la surface du domaine vital des espèces animales. Celui-ci varie généralement entre 0,5 et 5 ha (soit 5.000 à 50.000 m²) pour la grande majorité des oiseaux, les couleuvres, le Lapin de garenne, l’Écureuil roux, etc. Le site ainsi aménagé « risque » d’accueillir essentiellement des espèces « banales », c’est à dire ubiquistes et anthropophiles (Pigeon ramier, Mésange charbonnière, Merle noir…), surtout si il se trouve en zone urbaine.

Dans le second cas, avec les mêmes éléments, nous avons créé un site « bocager » à 100 %. Les espèces liées au bocage y trouvent donc 5.000 m² (soit 0,5 ha) d’habitat favorable. Et dans ce bocage, nous avons ménagé des zones de quiétude et différents types de lisières. Cet espace est donc plus homogène dans son ensemble mais contient des variations de micro-habitats. L’entretien différencié des prairies est facilité par le découpage de l’espace en « cellules ». Certaines prairies peuvent être fauchées tardivement et d’autres plusieurs fois par an pour être accessibles aux promeneurs. Ce second site présente un intérêt notable pour des espèces typiques des milieux semi-ouverts comme les fauvettes, bruants, hypolaïs (oiseaux), les micro-mammifères, les reptiles, les batraciens, mais aussi les papillons, les libellules, etc.

Savoir ce que l’on peut faire… et comment le faire.

En conclusion, les principales qualités pour aménager un site favorable à la biodiversité sont la capacité d’observation, la connaissances des lois qui régissent les écosystèmes et enfin l’humilité. Avec cette dernière, nous reconnaîtrons que la nature a un fonctionnement complexe et qu’on ne peut pas entièrement la contrôler ou la diriger. Il y a toujours une part d’incertitude dans la nature : n’est-ce pas d’ailleurs son caractère changeant et imprévisible qui en fait la beauté ?