Le domaine vital des oiseaux : une donnée clé pour les études d’impacts
Qu’est-ce que le domaine vital et comment l’évaluer ?
On appelle « domaine vital » l’espace utilisé par un oiseau ou un couple d’oiseaux au cours d’une saison. Il s’agit généralement de la saison de reproduction, durant laquelle les oiseaux sont cantonnés à proximité de leur nid. En période de migration et d’hivernage, la plupart des espèces effectuent des déplacements au gré des conditions météorologiques et des disponibilités en ressources alimentaires.
Le domaine vital ne doit pas être confondu avec le territoire, ce dernier étant plus petit. Le territoire est défendu contre les autres oiseaux, tandis que le domaine vital peut être en partie partagé avec des congénères. Ainsi, les domaines vitaux de deux couples d’une même espèce peuvent se chevaucher en partie.
Si la taille d’un domaine vital peut être estimé à partir d’observations de terrain régulières, la méthode la plus adaptée pour obtenir des données précises est le radiopistage, qui consiste à « marquer » les individus avec un émetteur afin de suivre leurs déplacements. Ce type de travail a par exemple été réalisé en Brière, à propos de la Gorgebleue à miroir, passereau réputé territorial (Grégoire, 2013 ; Monnet, 2014 ; Godet et al., 2015 ; Dietrich, 2015). Ce type d’étude – qui demande beaucoup de temps et de matériel – n’a pas systématiquement été réalisé pour toutes les espèces.
A défaut, on peut avoir recours à de simples estimations de densités, à savoir x couples pour y hectares, soit y/x hectares en moyenne par couple. Cette valeur est toutefois à prendre avec précaution car les densités minimales sont souvent obtenues dans des paysages hétérogènes où une partie des habitats ne conviennent pas à l’espèce. Ainsi, un auteur peut annoncer 4 couples de Fauvette à tête noire pour 10 hectares de terrain (soit 2,5 ha/couple), mais sans préciser si il s’agit de 10 hectares d’habitats potentiellement favorables à l’espèce ou non. Si 4 des 10 hectares sont, par exemple, des champs de maïs, la densité « réelle » serait plutôt de 4 couples pour 6 ha, soit 1,5 ha/couple. Ainsi, pour chaque espèces, seules la densité maximale (donc, la superficie minimale par couple) donne une information pertinente car elle est obtenue au sein de milieux qui sont a priori optimaux. La superficie moyenne par couple peut parfois être inférieure à la taille du domaine vital en raison des chevauchements de domaines vitaux.
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La question du domaine vital dans les études d’impacts
Pour évaluer l’impact d’un projet d’aménagement sur des populations d’oiseaux, il est indispensable de connaître a minima l’ordre de grandeur des domaines vitaux des espèces présentes. En effet, la destruction d’un hectare d’habitat n’a pas le même impact sur une espèce selon que son domaine vital est de 1 ha ou de 100 ha.
Par ailleurs, l’arrêté du 29 octobre 2009 indique que la protection des espèces porte à la fois sur les espèces, mais aussi sur leurs habitats. Citons l’article 3, aliéna 2 :
« Sont interdites sur les parties du territoire métropolitain où l’espèce est présente ainsi que dans l’aire de déplacement naturel des noyaux de populations existants la destruction, l’altération ou la dégradation des sites de reproduction et des aires de repos des animaux. Ces interdictions s’appliquent aux éléments physiques ou biologiques réputés nécessaires à la reproduction ou au repos de l’espèce considérée, aussi longtemps qu’ils sont effectivement utilisés ou utilisables au cours des cycles successifs de reproduction ou de repos de cette espèce et pour autant que la destruction, l’altération ou la dégradation remette en cause le bon accomplissement de ces cycles biologiques. »
La dernière partie de ce texte démontre bien la nécessité de prendre en compte la notion de domaine vital afin d’estimer si le bon accomplissement des cycles biologiques est remis en question. Il ne s’agit toutefois pas uniquement d’estimer si la surface de milieu impacté est supérieure, égale ou inférieure au domaine vital d’une espèce. Il faut également prendre en compte la question de la continuité des habitats, du caractère spécialiste ou généraliste des espèces, des impacts indirects comme le bruit ou le dérangement.
Par ailleurs, l’ordre de grandeur du domaine vital est également une donnée indispensable pour comprendre à quelle échelle mener une étude. Dans le cas d’un parc éolien, par exemple, le domaine vital des rapaces – groupe particulièrement sensible au risque de collision avec les pales – doit aider à définir la superficie de la zone d’étude.
Voici donc ci-dessous un tableau récapitulatif des données relatives au domaine vital et à la densité pour une vingtaine d’espèces d’oiseaux. Nous avons regroupé ces espèces en 4 grands ensembles, par ordre de grandeur du domaine vital. Ainsi, pour les petits passereaux, le domaine vital est de l’ordre de 1 hectare. Pour les colombidés, on peut retenir un ordre de grandeur de 5 hectares. Pour les pics et rapaces nocturnes, 100 hectares. Enfin, pour les rapaces diurnes « communs » (Buse, Faucon crécerelle et Epervier), 500 hectares.
Au delà des écarts entre valeurs minimales et maximales, ce tableau montre une certaine homogénéité au sein des quatre groupes définis. Il montre aussi que la conservation des pics et des rapaces se jouent à une échelle bien différente de celle des petits passereaux.