Cryptozoologie : quel animal se cache derrière le « monstre » du Loch Ness ?

La plus vieille des énigmes naturalistes

Le monstre du Loch Ness est sans doute l’une des plus anciennes énigmes proposées aux naturalistes, et très certainement celle qui a fait coulé le plus d’encre. Bon nombre de naturalistes sérieux se sont penchés sur la question. Quant aux témoins oculaires, ils seraient plus d’un millier.

Une fois écartées les explications simplistes et fainéantes (« attrape-touriste », « hallucination collective » et autres « vapeurs de whisky »…) la première question que peut se poser un naturaliste est : Qu’ont-ils vu ? Un animal extraordinaire qui n’a jamais été décrit ? Quelque chose de banal mais que les circonstances ont empêché d’identifier correctement ?

Après avoir lu une grande quantité de témoignages, il nous semble que l’animal observé ne soit ni une espèce très commune dans le loch comme une anguille, ni une créature inconnue ressemblant à un plésiosaure. Il s’agit d’une espèce animale connue mais dont la présence à cet endroit est rare, ce qui explique les difficultés d’identification. L’espèce en question est le phoque. Plus précisément, certainement le Phoque gris (Halichoerus grypus) dont nombre de caractéristiques correspondent très bien aux témoignages.

Bosses en surface, taille et couleur variables, attitude

La majorité des personnes ayant vu « Nessie » ont rapporté avoir vu des « bosses », aux formes parfois changeantes et en nombre variable. C’est l’aspect du « monstre » le plus fréquent, bien loin devant l’emblématique – mais trompeuse – représentation du long coup et de la petite tête de dinosaure. Par exemple, l’un des plus anciens témoignages, celui de Mr Hugh Grey (13 novembre 1933), évoque un corps « qui émergeait de 60 à 90 cm« . « Je n’ai pas vu la tête – continue le témoin – mais il y avait un mouvement remarquable de ce qui semblait être la queue ; l’objet ne resta visible que quelques minutes« . L’objet observé est « lisse, brillant et gris sombre« . Ce témoignage est rapporté par Jean Berton dans « Les monstres du Loch Ness et d’ailleurs » (1977). Il correspond parfaitement avec un phoque gris, qu’il s’agisse du mouvement de la queue, de l’aspect de la peau ou même la durée de l’observation. L’estimation de la dimension de la partie émergeante (60 à 90 cm) est également cohérente avec une observation de Phoque gris.

Des bosses sombres émergeant de la surface. Observation d’un Phoque gris. Crédit photo.

La question de la taille du monstre du Loch Ness est un problème épineux. Certains témoignages évoquent un animal d’un mètre seulement. D’autres observateurs ont estimé la longueur de l’animal à une vingtaine de mètres. L’écart est de taille ! Reconnaissons d’emblée qu’il est difficile d’estimer la taille d’un objet sur une étendue d’eau uniforme, sans éléments de comparaison.

Un film de Tim Dinsdale, tourné en 1960 (voir la vidéo ici), a été analysé par le JARIC (Joint Air Reconnaissance Center). Les experts ont conclu que l’objet se déplaçait à une vitesse d’environ 16 km/h, ce qui rentre tout à fait dans les possibilités d’un phoque en milieu aquatique. Le JARIC indique également que les dimensions de l’objet seraient de 1,80 mètre sur 1,50 mètre. Le Phoque gris mesurant entre 2 et 3,50 mètres de long, il est possible que la partie de son cops visible en surface ait les dimensions indiquées. Sur un autre film, pris par Richard Raynor en 1961, les experts du JARIC indiquent que la longueur de l’objet est de 2,10 mètre. Dans les deux cas, il pourrait donc d’agir d’un phoque solitaire.

Dans d’autres cas, les témoins affirment que l’animal possède trois, quatre, voire même six bosses, et que sa longueur atteindrait vingt ou vingt-cinq mètres. Ce qui est étonnant dans ces témoignages, c’est que les bosses changent de forme et que leur nombre aussi évolue tout au long de l’observation. Le « monstre » aurait-il un corps immense, capable de changer de forme rapidement ? En fait, l’appartenance de ces différentes « bosses » à un seul et même animal est une interprétation de certains témoins, tandis que d’autres évoquent plusieurs animaux. Ainsi, comme le rapporte Jean Berton, un jour de 1937, A. Smith et A. Considine « virent dans le sillage de leur canot à moteur trois petits monstres d’environ un mètre de longueur« . Ainsi, poursuit Jean Berton, « bon nombre de gens ont affirmé qu’ils avaient vu deux et parfois trois monstres qui nageaient ensemble en surface« . Cela correspond parfaitement à la description d’un groupe de phoques, chaque animal formant une ou deux bosses pouvant apparaître ou disparaître au gré de ses plongées. L’hypothèse des phoques permet donc d’expliquer à la fois la variabilité de la forme et de la taille de la créature du Loch Ness.

Groupe de phoques formant des bosses sombres en surface. Crédit photo.

Deux phoques gris pouvant être pris pour un seul animal. Crédit photo.

Notons au passage que certaines théories concernant l’identité du monstre ne résistent pas à l’analyse du comportement de l’animal. En effet, a-t-on déjà vu une anguille vivante se tenir à la surface de l’eau pendant de longues minutes ? Or, beaucoup de témoins indiquent qu’ils ont observé l’animal pendant plus de dix minutes. Ainsi, Mrs Moir et Mrs Grant, en 1936, observent l’animal, « immobile sur la surface du loch […] pendant quatorze minutes » (in Jean Berton, 1977). Pendant l’été 1982, Ms MacDougall vit une bosse stationnant au milieu du loch. « L’objet était de couleur grise et, après être resté immobile pendant trois minutes, il plongea pour réapparaitre au même endroit et y rester pendant sept minutes. Enfin, il disparut définitivement » (cité par B. Grison, 2016). Encore une observation qui correspond bien plus à un pinnipède qu’à un poisson !

Un autre critère permet d’écarter la piste de l’anguille : il s’agit des observations de l’animal sur la terre ferme. Ainsi, Arthur Grant, en janvier 1934, observe sur la rive du lac un animal massif, se déplaçant par bonds. L’anguille est-elle un animal massif qui se déplace par bonds ? Assurément non.

Le 22 juillet 1934, les époux Spicer observent « un monstre de forme allongée de plusieurs mètres traversant la route puis disparaître dans l’eau du lac« . L’animal se déplace « en se contractant et se propulsant« . Une décennie auparavant, en avril 1923, Mr A. Cruikshank observe, dans la lumière de ses phares, un gros animal se tenant au bord de la route. « Il avait un corps gros et arqué d’une hauteur d’environ un mètre quatre-vingts et il se traînait sur son ventre. (…) Il se déplaçait lentement, s’éloignant de la route, et se dandinait sur deux pattes que j’ai vues sur le côté. J’ai vaguement aperçu comme une grosse tête avec une face aplatie qui était directement articulée sur le corps, c’est à dire qu’il n’y avait pas de cou« . Ces témoignages « terrestres » plaident de manière assez unanime pour un mammifère marin capable de sortir de l’eau mais se déplaçant sur terre de manière pataude. En un mot : un phoque !

Concernant maintenant la couleur de l’animal, Jean Berton résume ainsi les témoignages qu’il a complié : « La couleur de l’animal semble variable (…) : gris très foncé ou grisâtre, marron acajou ou marron clair avec des taches plus foncées ou des marbrures. Selon certains témoins la gorge est blanche« .

« Un corps gros et arqué… », « …il se dandinait sur deux pattes… » « …gris très foncé ou grisâtre, marron acajou ou marron clair avec des tâches plus foncées ou des marbrures… » Comment ne pas reconnaître le Phoque gris dans ces témoignages ? Crédit photo.

Encore quelques éléments en faveur du phoque

Quelques autres éléments permettent de conforter l’hypothèse du phoque. D’une part, certains témoins affirment avoir vu l’animal faire de la buée en respirant. C’est le cas du Comte Bentick qui observa, en 1934, la partie supérieure d’une tête qui se trouvait au ras de l’eau. « De la bouche sortait une sorte de vapeur que dissipait aussitôt la brise fraîche » (in Jean Berton, 1977). D’autres témoins affirment que l’animal porte sur la tête une pilosité, parfois assimilée à une crinière, ce dernier élément ramenant au mythique « cheval des eaux« . La crinière en question ne pourrait-elle pas être en réalité la « moustache » d’un phoque tenant sa tête à la verticale, dans une attitude bien caractéristique illustrée ci-dessous ? Cette position de la tête expliquerait également les témoignages relatif à des yeux « absents », « invisibles » ou « bridés »…

Phoque gris dans une attitude de repos bien caractéristique mais assez déconcertante pour un observateur néophyte ! Crédit photo : https://www.flickr.com/photos/conchur/

Pourquoi les témoins n’ont-ils pas identifié le phoque ?

Le Phoque gris (Halichoerus grypus) est une espèce assez largement répartie en Atlantique Nord, dans les îles britanniques, en Mer du Nord et Scandinavie. En France, on peut l’observer sur la côte atlantique, particulièrement en Bretagne. Ce n’est donc pas une espèce particulièrement rare à l’échelle européenne. Considérons toutefois les observations de l’espèce en Bretagne, d’après la base de données Faune-Bretagne. Les observations de l’espèce à proximité de ses colonies reproductrices sont assez abondantes. Par exemple, le Finistère totalise près de 4.000 données au cours des 25 dernières années. En revanche, dès que l’on s’éloigne un peu des sites de reproduction, l’espèce, pourtant bien présente, est rarement observée. Ainsi, le Morbihan compte à peine plus de 200 données de l’espèce ces 25 dernières années, soit une petite dizaine par an. Ce total est extrêmement faible quand on sait que des dizaines de naturalistes expérimentés et équipés parcourent les côtes morbihannaises presque quotidiennement ! Les apparitions du Phoque gris en surface sont souvent brèves et, malgré sa taille, l’animal peut passer inaperçu entre les rochers sombres des côtes bretonnes.

Il en va probablement de même au Loch Ness : bien que l’espèce soit largement répartie le long des côtes écossaises, elle passe probablement souvent inaperçue en dehors de ses colonies de reproduction. Ajoutons à cela le fait que l’espèce ne fréquente le Loch Ness qu’occasionnellement et que les « témoins » de ses apparitions sont rarement des naturalistes habitués à observer les mammifères marins. En un mot, est-il illogique qu’un néophyte ne parvienne pas à identifier un animal qu’il observe pour la première fois de sa vie, de loin et dans un habitat de surcroit inhabituel pour l’espèce ? Pour une large part des témoignages, on pourrait ajouter « qui plus est au début du vingtième siècle », époque à laquelle le grand public a peu accès à des photographies naturalistes.

Précisons enfin – et c’est la moindre des choses ! – que des phoques ont déjà été observés et identifiés comme tels au Loch Ness. Ainsi Benoit Grison (2016) indique qu’en octobre 1999, Dick Raynor a filmé le Phoque gris dans le Loch, et que le naturaliste écossais Gordon Williamson a pu prouver la présence du Phoque commun (Phoca vitulina) dans le Loch en 1984-1985. L’observation de phoques dans le loch est donc documentée. Sa présence occasionnelle expliquerait aussi que les témoignages concernant « Nessie » soient groupés dans le temps, certaines années donnant lieu à beaucoup d’observations et d’autres à aucune (une liste des films et vidéos du monstre « réel » établie par Wikipédia mentionne ainsi 7 témoignages pour la seule année 1967 mais aucun de 1970 à 1974).

Le Phoque gris adopte parfois des postures étonnantes qui peuvent rendre son identification difficile. Ci-dessus, on pourrait même confondre la tête et la queue ! Crédit photo

Et le long cou, alors ?

La célèbre « photo du chirurgien » – probablement truquée – a popularisé l’image « plésiosaurienne » de Nessie, avec son long cou de cygne et sa petite tête reptilienne. Mais cet élément est loin d’être le plus récurrent parmi les témoignages. Comme nous l’avons vu plus haut, beaucoup de témoins ne mentionnent que des bosses et certains pointent même l’absence de cou. Du reste, dans certaines postures, le Phoque gris peut présenter quelques analogies avec l’image d’Epinal de Nessie. Notre pinnipède peut en effet se tenir à la verticale, une grande partie du corps au-dessus de la surface et la tête formant un angle droit avec le corps (photos ci-dessous).

Le site intitulé « Registre officiel des observations du monstre du Loch Ness » montre de nombreuses photos récentes. Si certaines sont trop lointaines ou trop floues, beaucoup montrent une bosse correspondant bien à la tête d’un phoque, parfois accompagnée d’un sillage caractéristique. Le Phoque gris est ainsi le candidat idéal pour expliquer la photographie prise en 2018 par la jeune Charlotte Robinson ou encore celle prise par Parry Malm en avril 2024. Mais surtout, aucune photo récente ne montre clairement une créature possédant un cou très élancé et serpentiforme.

En résumé, le cou très élancé est très minoritaire parmi les témoignages et il ne figure que sur une seule photo : celle datant de 1934 et dont l’authenticité est très douteuse. Il est possible que le long cou soit surtout présent dans l’imaginaire collectif, alimenté par la mode des dinosaures (le premier King Kong, sorti en 1933, montre un dinosaure à long cou, de même que Jurassic Park, sorti en 1993).

Phoques gris dans la posture de « Nessie » – Crédit photo gaucheCrédit photo droite

Une explication évidente au milieu d’hypothèses farfelues

Depuis près d’un siècle, de nombreuses théories concernant l’identité de Nessie ont été présentées. L’hypothèse du phoque a déjà été formulée. Adrian Shine, spécialiste du Loch Ness, la juge possible dans ce documentaire de 2016. Mais elle n’a jamais été particulièrement développée. Chez beaucoup d’auteurs, elle se trouve mise sur un pied d’égalité avec des théories aussi étranges que celle de l’anguille (dont nous avons exposé les faiblesses ci-dessus), celle de l’esturgeon (qui rencontre les mêmes objections), celle du paillasson végétal, du tronc d’arbre propulsé par des gaz (?!) ou encore celle, absurde, du mollusque géant.

Alors que le phoque peut expliquer la quasi-totalité des témoignages et des photographies, pourquoi continuer à émettre des hypothèses improbables et à mener des recherches mobilisant sonar ou ADN environnemental ? Serait-ce justement pour entretenir le mystère ? Possible !

Le Loch Ness garde quoiqu’il en soit son atmosphère de mystère…

Un peu de bibliographie sur le monstre du Loch Ness et la cryptozoologie :

Jean Berton, 1977 « Les monstres du Loch Ness et d’ailleurs »

Benoit Grison, 2016 « Du yéti au calmar géant, le bestiaire énigmatique de la cryptozoologie »

Le « Loch Ness Mystery Blog »

Analyse de l’environnement lumineux des gîtes de chiroptères (Bretagne et Pays de la Loire)

Les chauves-souris – ou chiroptères – sont des mammifères volants nocturnes. Leur rapport à la lumière artificielle est complexe et encore mal connu malgré un nombre croissant d’études sur le sujet. Certaines espèces, comme les pipistrelles, sont fréquemment observées à proximité des éclairages publics, ces derniers attirant les insectes dont elles se nourrissent. D’autres espèces sont réputées lucifuges et évitent les sources de lumière artificielle. Le maintien de la « trame noire » (continuité d’espaces non éclairés la nuit) est devenu un enjeu de gestion des territoires.

Méthodologie de l’étude menée par B.E.T

En tant que bureau d’études spécialisé dans les questions de biodiversité et d’aménagements, nous avons cherché à savoir dans quel environnement lumineux se situaient les gîtes de chiroptères connus en Bretagne et Pays de la Loire, qui sont nos deux régions d’intervention. Ces deux régions possèdent très peu de cavités naturelles, contrairement aux régions karstiques du sud de la France où abondent les grottes et anfractuosités de différentes tailles. Les gîtes de chiroptères de Bretagne et Pays de la Loire sont essentiellement d’origine humaine : églises, granges, carrières, bunkers et autres souterrains creusés lors de la seconde guerre mondiale notamment… Nous voulions donc savoir à quel point les chauves-souris s’accommodaient de gîtes situés dans des environnements éclairés, situés le long de routes, en périphérie d’agglomérations, voire même au cœur de ces dernières.

Pour cela, nous avons recensé les emplacement précis de 52 gîtes abritant une population significative de chauves-souris (a minima une vingtaine d’individus), que ce soit en hiver, en période de mise bas ou de swarming. Sur ces 52 gîtes, 31 se situent en Bretagne et 21 en Pays de la Loire. Tous les départements sont représentés. Ce recensement des gîtes a été réalisé à partir de nos connaissances personnelles et en consultant une bibliographie variée : listes des arrêtés de protection de biotope relatifs aux chauves-souris, publications du Groupe Mammalogique Breton et d’autres associations, sites Natura 2000, articles de presse, etc. Ces sites étant particulièrement sensibles, nous nous garderons d’en fournir ici la liste exhaustive. Nous avons noté les espèces connues pour chaque gîte. Nous pouvons ainsi détaillé les résultats par espèce ou groupe d’espèces.

Concernant maintenant le niveau de luminosité artificielle, nous avons passé commande de cartes de pollution lumineuse AVEX auprès de Frédéric Tapissier, dont nous saluons au passage le remarquable travail. Ces cartes distinguent 9 niveaux de pollution lumineuse, allant de « noir » (absence de pollution lumineuse) à « blanc » (pollution lumineuse maximale). Notons d’emblée que le niveau « noir » n’existe pas en Bretagne, de même que le niveau « blanc », que l’on ne trouve qu’au cœur des plus grandes agglomérations européennes.

Précautions concernant l’échelle d’interprétation

La présente étude concerne le niveau moyen de pollution lumineuse aux abords des gîtes, dans un rayon d’environ 100 mètres. Il ne s’agit pas d’une étude sur l’intensité lumineuse mesurée à l’endroit précis de l’accès au gîte. Ce type d’étude a déjà été mené par ailleurs et il a été notamment démontré l’impact négatif sur les chauves-souris de projecteurs orientés en direction d’une entrée de gîte.

Par ailleurs, comme précisé ici, les cartes de pollution lumineuse sont obtenues non pas par mesure mais par un calcul prenant en compte la présence d’habitations, de routes fréquentées, de zones d’activités, de ports, d’aéroports et autres activités humaines générant une lumière artificielle à la nuit tombée.

Ainsi, un gîte peut se situer dans un secteur à pollution lumineuse relativement élevé mais bénéficier, à l’endroit précis de son accès, d’un effet de pénombre créé par de grands arbres ou par le relief. Reste que les chauves-souris, une fois leur gîte quitté, évoluent alors dans un environnement éclairé, avec lesquelles elles doivent composer même si elles ne font que le traverser pour atteindre leurs terrains de chasse.

Toutes espèces confondues : une relative adaptabilité

Si l’on considère les 52 gîtes, et donc l’ensemble des espèces, on constate que le niveau le plus représenté est le niveau 3 (cyan), suivi du niveau 4 (vert), niveaux d’éclairage qui correspond aux villages isolés et hameaux. Toutefois, on trouve aussi des gîtes dans des secteurs plus éclairés.

Par exemple, 9 gîtes sur 52 (soit 17 %) sont situés dans un environnement où la pollution lumineuse est de niveau 6 (orange), soit l’équivalent des banlieues de grandes ville ou du centre des petites villes. Les deux niveaux supérieurs, à savoir 7 et 8, correspondent aux centres des grandes villes. Ils semblent logiquement délaissés par les chauves-souris. On trouve donc des gîtes dans des secteurs qui sont loin d’être sombres, notamment les clochers des églises, situées en plein centre des villages. Enfin, les gîtes situés dans les secteurs les moins éclairés sont souvent des cavités abandonnées (ex : ardoisières) voire de petites chapelles isolées en pleine campagne.

Analyse par espèce : les Rhinolophes, plus lucifuges ?

Les deux espèces les plus représentées au sein des gîtes sont le Grand Murin et le Grand Rhinolophe (27 gîtes pour chacune de ces espèces). L’analyse spécifique montre que le Grand Murin se trouve dans des environnements plus éclairés que la moyenne. Pour cette espèce, les catégories « bleu » et « cyan » ne représentent que 37 % des gîtes contre 44 % pour toutes les espèces confondues. Le Grand Murin apprécie en particulier les clochers d’églises, qui se trouvent souvent dans la catégorie « jaune ».

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En revanche, les Rhinolophes semblent privilégier les environnements plus sombres. Pour le Grand Rhinolophe, 59 % des gîtes se trouvent en environnement « bleu » ou « cyan ». Pour le Petit Rhinolophe, cette proportion monte même à 72 % mais la valeur est moins significative dans la mesure où elle ne porte que sur 11 gîtes. La tendance à fuir la lumière lors des déplacements est connue chez les Rhinolophes ; notre étude montre que cela concerne également le choix des gîtes. Notons toutefois qu’il peut y avoir des exceptions puisque le Grand Rhinolophe est présent sur 4 gîtes à pollution lumineuse de niveau 6 (orange).

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Conclusions

Les chauves-souris manifestent une préférence pour les environnements peu éclairés. Toutefois, en Bretagne et Pays de la Loire, face à une faible disponibilité en gîtes naturels, elles semblent pouvoir s’adapter à un certain niveau de pollution lumineuse pour exploiter des gîtes anthropiques favorables. Si le centre des grandes villes semble logiquement peu attractif (mais il existe peut-être des exceptions), un niveau de luminosité correspondant à la banlieue de grande ville ou au centre de gros bourgs semble toléré. Il est probable que d’autres critères soient aussi importants, si ce n’est plus : température interne des gîtes, niveau de quiétude ou encore proximité de ressources alimentaires. Ce qui expliquerait que des espèces réputées lucifuges comme les Rhinolophes puissent parfois coloniser des secteurs éclairés.

Complétude des inventaires naturalistes : comparaison de la méthode P.A.C avec celles de l’OEB et de l’AOF

Au cours des dernières années, notre bureau d’étude a mis au point une méthode pour évaluer le niveau de complétude des atlas régionaux ou nationaux. Cette méthode s’intitule « Probabilités d’Absences Cumulées » ou P.A.C. Les premiers résultats, relatifs aux papillons de Bretagne et aux amphibiens et reptiles de Loire-Atlantique, ont été présentés dans cet article.

En parallèle, deux autres structures présentent des indices de complétude pour différents groupes :

L’Observatoire de l’Environnement en Bretagne (OEB) produit des cartes de complétude par commune, disponibles ici.

L’Atlas des Oiseaux de France (AOF) présente un indice de complétude pour chaque maille du territoire national.

Nous analysons les résultats obtenus par ces deux structures, qui ont utilisé des méthodes différentes de celle que nous proposons.

La méthode par courbe d’accumulation de l’OEB

La méthode utilisée par l’OEB, appelée « méthode de la courbe d’accumulation », est basée sur le principe suivant (nous citons) : « plus il y a d’observations accumulées sur un territoire et moins il y a de chance qu’une nouvelle observation détecte une nouvelle espèce« . Il s’agit d’une méthode classique et tout à fait logique : dans les premiers temps d’un inventaire, le nombre d’espèces augmente rapidement, donnant à la courbe « nombre d’espèce en fonction du nombre de données » une pente forte. Par la suite, cette pente diminue car il faut de plus en plus d’effort de prospection pour découvrir de nouvelles espèces. Enfin, la courbe devient quasiment plane, avec une asymptote correspondant au nombre réel d’espèces présentes sur l’entité géographique considérée.

Toutefois, l’OEB prend bien soin d’ajouter que « cette complétude est une première approche et n’est pas un descripteur pertinent de l’effort d’échantillonnage à l’intérieur d’une commune : un seul site a-t-il été inventorié dans la commune ou plusieurs ?« . En effet, comme nous l’avions expliqué dans notre présentation de la méthode P.A.C, on peut accumuler beaucoup d’observations concernant quelques espèces très communes. Cela a pour effet d’aplatir la courbe « nombre espèces en fonction du nombre d’observations » et de créer un « faux palier » qui laisse croire – momentanément – que l’asymptote est atteinte (schéma ci-dessous).

Les résultats présentés par l’OEB en utilisant cette méthode sont assez « pessimistes » quant au niveau de complétude des atlas. Pour les oiseaux, groupe pourtant le mieux connu, une large majorité des communes présente un niveau de complétude « insuffisant ». Les communes atteignant un niveau « convenable » sont les communes du littoral (qui attirent en masse les ornithologues) ainsi que celles situées autour de Rennes et dans les Monts d’Arrée. C’est pire encore pour les autres groupes, notamment pour les lépidoptères (une centaine de communes seulement sur 1200 atteignent un niveau convenable) ou encore les reptiles. Pour ces derniers, compte-tenu du très faible nombre d’espèces connues en Bretagne (une petite dizaine), la méthode de la courbe d’accumulation n’est probablement pas adaptée car l’asymptote, réelle ou supposée, est rapidement atteinte.

Pour un groupe comme les coléoptères, le problème est inverse : compte-tenu du très grand nombre d’espèces existantes (environ 10.000 en France métropolitaine), de leur difficulté d’identification et de la variation d’abondance inter-annuelle, on risque fort de ne jamais atteindre une asymptote durable. A moins que seuls des débutants participent aux prospections, identifiant toujours, année après année, les dix ou quinze mêmes espèces.

La problème de la courbe d’accumulation est que sa forme est très dépendante du profil des observateurs : une enquête « grand public » va rapidement atteindre un pallier et donner une impression de complétude tandis que des spécialistes vont se concentrer sur la recherche de nouvelles espèces et rapporter moins de données « déjà vues », d’où une courbe à pente toujours forte qui donne une impression d’incomplétude… malgré un nombre d’espèces bien plus élevé (voir schéma ci-dessous).

La méthode « par comparaison historique » de l’Atlas des Oiseaux de France

Le site de l’atlas des oiseaux de France décrit ainsi son indice de complétude : il s’agit du « rapport entre le nombre d’espèces observées sur la période 2019-2024 et le nombre d’espèces observées sur les périodes précédentes« . Autrement dit, les espèces historiquement connues sur une maille ont-elles été retrouvées lors de la période de l’atlas ? Le mérite de cette méthode est de traiter différemment les mailles à faible potentiel de celles à haut potentiel. En effet, on ne peut pas attendre d’une maille située dans la Beauce le même nombre d’espèce que d’une maille située en Camargue ou en Brière.

Cette méthode donne des résultats bien plus « optimistes » que la précédente : 41 % des mailles ont une complétude de 100 %, que l’on peut traduire comme « parfaite » et 57 % ont une complétude comprise entre 75 et 100 %. Seuls 2 % des mailles ont une complétude comprise entre 50 et 75 % et aucune n’est en-dessous de 50 %.

En regardant dans le détail, certains résultats ont de quoi surprendre. Il n’est pas rare de trouver côte à côte deux mailles dont l’une présente un niveau de complétude bien meilleure que sa voisine, avec pourtant beaucoup moins d’espèces. Ainsi, pour prendre un exemple breton, la maille de Mûr de Bretagne a un taux de complétude de 97 % avec 151 espèces signalées alors que la maille voisine de Saint Caradec a un taux de complétude de 105 % avec seulement 84 espèces signalées. Les deux mailles présentent pourtant un potentiel à peu près comparable en termes de milieux. L’écart en termes de nombre d’espèces devrait logiquement se traduire par une moins bonne complétude de la seconde maille.

On l’aura compris, c’est avant tout la qualité de la prospection « historique » qui influe sur le niveau de complétude. Ainsi, pour pousser le raisonnement à l’extrême, une maille qui n’aurait quasiment pas été prospectée avant 2019 aura systématiquement un indice de complétude supérieur à 100 %. Par ailleurs, si le nombre d’espèces baisse sur une maille, cela peut-être lié à une dégradation des milieux autant qu’à un problème de prospection.

Comment la méthode P.A.C limite les biais

Dans les deux exemples précédents, la complétude est définie comme un nombre d’espèces à atteindre. Or, il n’y a pas de manière satisfaisante de définir ce nombre théorique d’espèces. C’est pourquoi la méthode des Probabilités d’Absences Cumulées évite de recourir à cette valeur de référence.

Les deux méthodes présentées ci-dessus considèrent à valeur égale toutes les espèces. Or, pour reprendre l’exemple des reptiles, ne pas découvrir le Lézard des murailles – espèce la plus abondante de France – est bien plus révélateur d’une sous-prospection que la non-découverte de la Trachémyde écrite, mieux connue sous le nom de Tortue de Floride, dont la présence est surtout due au hasard des introductions.

C’est pourquoi la méthode P.A.C propose de donner un poids différent à chaque espèce : cela permet de s’affranchir du très problématique « nombre total d’espèces ». Notre méthode repose essentiellement sur l’analyse de l’absence des espèces très communes. Le fait que les espèces très communes et ubiquistes soient normalement présentes partout est une base bien plus solide qu’un hypothétique nombre d’espèce à trouver pour chaque maille. Concrètement, il est plus certain d’affirmer « ce territoire est sous-prospecté car il y manque à la fois le Pinson des arbres, la Mésange bleue, le Rougegorge familier et le Pigeon ramier » que « ce territoire est sous-prospecté car nous y avons trouvé 85 espèces alors que nous en attendions 105« .

Comptage des Hirondelles de fenêtre d’Arc Sud Bretagne (56)

La synthèse des comptages, effectués par Émilien et Pierre-Louis Barussaud en 2023 et 2024, est disponible ci-dessous au format pdf.

Ces comptages ont été réalisés durant la période de reproduction de l’Hirondelle de fenêtre. Ils permettent de connaître les effectifs de cette espèce protégée, commune par commune.

Collisions véhicules / mammifères : quelles sont les espèces et les saisons à risque ?

Les routes sont l’une des principales causes de mortalité non-naturelle pour la faune de France. Toutes les espèces peuvent être impactées mais la mortalité des mammifères est particulièrement visible sur les bords de route. Nous dressons un rapide bilan des espèces et des périodes à risque, à partir des données de mortalité disponibles sur Faune-France pour la Bretagne et les Pays de la Loire en 2023.

Le Hérisson en première ligne

Parmi les 2424 données de mortalité, 950, soit 39 % concernent le Hérisson d’Europe. Cette espèce lente et de petite taille n’a pas l’habitude de fuir face au danger. Elle peut également être piégée par les murets situés au niveau du terre-plein central de certaines grandes routes. Des collisions sont constatées toutes l’année mais le printemps (mars, avril et mai) paraît particulièrement meurtrier.

Répartition des cas de mortalité pour le Hérisson d’Europe en 2023

Le cas des mustélidés

Les Mustélidés arrivent en seconde position parmi les victimes des collisions routières. Ils totalisent 31,5 % des cas : 13,5 % pour le seul Blaireau et 18 % pour les autres espèces (Martre, Fouine, Putois, Vison…). Hormis le Blaireau, les mustélidés sont pourtant des animaux rapides et agiles, capables de traverser rapidement une route, contrairement au Hérisson. Chez le Blaireau européen, des collisions sont signalées tout au long de l’année dans le Grand Ouest, mais février, suivi de mars et avril semblent les mois les plus meurtriers.

Répartition des cas de mortalité pour le Blaireau européen

Le cas du Renard roux

Si l’on ajoute à ceux du Hérisson d’Europe et des mustélidés les cas concernant le Renard roux, on atteint près de 80 % du total. Au contraire des espèces précédentes, le petit canidé présente une faible mortalité en mars et avril. Le mois qui représente le plus de cas est celui de juillet, suivi de janvier et octobre. Cette phénologie est difficile à interpréter.

Répartition des cas de mortalité pour le Renard roux

Les gros peu impactés, les petits sous-estimés

Les plus gros de nos mammifères terrestres, à savoir le Chevreuil, le Sanglier et le Cerf élaphe, ne représentent que 3,3 % des cas. Leurs cadavres passent pourtant difficilement inaperçus. A l’inverse, la part des petits rongeurs (4,7 %) et celle des petits insectivores de type musaraigne (2,4 %) sont très probablement sous-estimées en raison de la petite taille des cadavres, de la difficulté d’identification et de la possibilité qu’une part des cadavres soient emportées par des charognards.

Enfin, notons que l’invasif Ragondin représente 3,7 % des collisions, chiffre anecdotique en comparaison des prélèvements par chasse et piégeage. Des espèces plus rares comme la Loutre ou la Genette représentent respectivement 0,8 et 0,3 % des cas, mais l’impact de ces quelques collisions sur des espèces à longue durée de vie peut être préjudiciable à la conservation de l’espèce (voir cet article concernant les stratégies démographiques animales).

Conclusion

Si cette rapide analyse – basée sur des données collectées sans protocole – ne permet pas de chiffrer le nombre de mammifères victimes de collisions routières chaque année, elle nous apprend toutefois plusieurs choses :

  • d’une part, le Hérisson d’Europe semble être d’assez loin l’espèce la plus impactée ; même si les observateurs ont peut-être tendance à rapporter davantage de données pour cette espèce protégée et facilement identifiable
  • d’autre part, la mortalité routière concerne quasiment toutes les espèces et toutes les périodes de l’année, avec par exemple un pic de mortalité en avril pour le Hérisson, en février pour le Blaireau et en juillet pour le Renard roux.
  • enfin, les espèces protégées constituent près de la moitié des cas de mortalité rapportés.

Critique et améliorations possibles du protocole de suivi des parcs éoliens terrestres

Le protocole de suivi des parcs éoliens terrestres (version 2018)

L’article 12 arrêté ministériel du 26 août 2011 (voir ici) prévoit la mise en place par les exploitants de parcs éoliens d’un suivi environnemental dans les 12 mois suivants la mise en service du parc. Par la suite, le suivi doit être renouvelé a minima tous les 10 ans. Ce suivi doit notamment permettre « d’estimer la mortalité de l’avifaune et des chiroptères due à la présence des aérogénérateurs« .

Un protocole de suivi a été mis en place en 2015 pour la version initiale puis en mars 2018 pour la version actuellement en vigueur. Ce protocole prévoit « au minimum » des suivis de mortalité couplés à « un suivi d’activité en hauteur des chiroptères » et d’autres types d’observations « si l’étude d’impact ou l’arrêté préfectoral le prévoit« .

Le suivi de mortalité au sol – qui consiste à rechercher d’éventuels cadavres d’oiseaux ou de chauves-souris au pied des éoliennes – doit être « constitué au minimum de 20 prospections, réparties entre les semaines 20 et 43 (mi mai à octobre), en fonction des risques identifiés dans l’étude d’impact, de la bibliographie et de la connaissance du site. » Le suivi peut s’étendre sur d’autres périodes si l’étude d’impacts ou des arrêtés préfectoraux le préconisent.

Ces premiers éléments du protocole, qui correspondent aux parties 2 à 5 du texte, ne posent pas de problème particulier. Au contraire, ils posent clairement le cadre et les objectifs d’un suivi. Les faiblesses se situent davantage dans la méthodologie retenue pour l’évaluation de la mortalité.

Une fréquence de suivi non précisée

Le premier point qui peut d’emblée nous étonner est l’absence d’indication quant à la fréquence de passage pour la recherche des cadavres. La partie 5.3 indique bien un minimum de 20 prospections entre les semaines 20 et 43, ce qui correspond à peu de chose près à une fréquence hebdomadaire. Mais il n’est nulle part indiqué que l’on ne peut pas réaliser, par exemple, 5 sorties lors de la semaine 20 (une sortie quotidienne) puis 5 nouvelles sorties lors des semaines 28, 35 et 42. Nous verrons d’ailleurs qu’une telle répartition dans le temps n’aurait rien d’aberrant.

Quoiqu’il en soit, faute d’indication, les bureaux d’étude optent fréquemment pour la sortie hebdomadaire, solution la plus simple à mettre en place et qui paraît la plus logique à la lecture du protocole. Or, une prospection hebdomadaire risque fort de faire passer l’observateur à côté des cas de mortalité, en particulier pour les chiroptères. En effet : 1) les cadavres de chauves-souris disparaissent ou se décomposent rapidement et un animal tué le jour n peut très bien ne plus être présent ou ne plus être détectable (ou, dans le meilleur des cas, ne plus être identifiable) au bout de deux ou trois jours. 2) les passages à intervalle fixe ne coïncident pas nécessairement avec des périodes « à risque » pour les chiroptères. Par exemple, si l’on prospecte après deux ou trois nuits de mauvais temps (pluie, vent, fraîcheur), il est très probable que l’on ne trouve aucun cadavre de chauves-souris, ces dernières n’étant pas sorties de leurs gîtes. Pour les oiseaux en revanche, la prospection hebdomadaire, à défaut d’être idéale, est une solution recevable dans la mesure où 1) les cadavres d’oiseaux, notamment rapaces ou laridés, sont a priori détectables plus facilement et plus longtemps que ceux des chiroptères 2) les collisions peuvent a priori avoir lieu dans tous types de conditions météorologiques, de jour comme de nuit.

Les biais liés à la persistance de cadavre et à la durée de l’intervalle entre les sorties sont censés être résolus par l’application de formules (partie 8 du protocole), elles-mêmes alimentées par des paramètres définis par des tests (partie 7). Or, nous verrons que les tests et les formules posent de sérieuses questions, de représentativité pour les premiers et de précision pour les secondes.

Pour notre part, notre expérience des suivis environnementaux nous fait douter du bien fondé des suivis à intervalle régulier en ce qui concerne la mortalité des chauves-souris. D’ailleurs, cette fréquence régulière n’est pas explicitement exigée dans le protocole de 2018. Elle n’est rendue nécessaire que par l’utilisation des formules de correction des biais. Nous proposons en fin de cet article une méthode s’affranchissant de cette contrainte.

Des tests de persistance problématiques

Le protocole indique que deux séries de tests doivent être réalisées. Si les tests d’efficacité (partie 7.1) nous paraissent utiles pour connaître les limites de perception de l’observateur, les tests de persistance des cadavres (partie 7.2) apparaissent comme une tentative bien maladroite de corriger un biais particulièrement important.

Ainsi, on propose d’évaluer le temps de persistance des cadavres en disposant des « leurres » (cadavres de poussins, poulets ou souris) autour des éoliennes et en « suivant la persistance des cadavres par des passages répétés » . Or, ce protocole est bien loin de reproduire la réalité : 1) parce que les cas de mortalité réelle sont rares et aléatoirement répartis tandis que les leurres du protocole sont nombreux et régulièrement répartis (le protocole demande 3 à 5 leurres par éolienne), or le comportement des charognards est nécessairement influencé par la quantité de cadavres disponibles 2) parce que des cadavres de poussins et de souris manipulés par des êtres humains n’ont probablement pas le même attrait pour les charognards qu’un cadavre de mouette, de pipistrelle, etc. 3) parce que, concernant les oiseaux, on ne peut connaître à l’avance le ratio « cadavres de grande taille / cadavres de petite taille » afin d’adapter la taille des leurres en conséquence ; il est évident que le cadavre d’une Buse variable ne se « comporte » pas comme celui d’un Roitelet…

Dernier problème posé par l’utilisation des leurres, et non des moindres : le risque d’accoutumance des charognards. Il est tout à fait possible que les leurres disposés au pied des éoliennes attirent les charognards et facilitent, dans la suite de l’étude, la disparition des « vrais » cadavres. Ou, au contraire, que des leurres abondants provoquent la satiété des charognards, les détournant alors des « vrais » cadavres. Une solution pourrait être d’utiliser les leurres uniquement après la fin des recherches des cadavres réels. Mais ces tests, nécessairement réalisés en octobre / novembre, ne pourraient pas prétendre reproduire fidèlement les conditions du suivi, lequel débute au printemps. Pour rappel, le suivi préconisé de la semaine 20 à la semaine 43 a minima.

Pour finir, le protocole demande de réaliser « deux tests de persistance par suivi, à des périodes distinctes » : cela signifie d’une part que l’un des tests – au moins – interfère avec la recherche des vrais cadavres (accoutumance ou satiété des prédateurs), mais aussi que deux tests sont censés reproduire les variations des conditions environnementales (croissance des plantes, conditions météorologique, activité animale, travaux des champs, etc.) d’une demi-année… ce qui est peu crédible.

« Ce qui manque ne peut être compté »

Par la suite, le protocole préconise d’utiliser les résultats des tests ainsi que le taux de surface effectivement prospectée (« coefficient surfacique ») pour corriger les biais. Plusieurs formules, plus ou moins complexes, sont proposées : celle de Huso (2010) doit être systématiquement utilisées, ainsi que deux autres « au choix » entre Erickson (2000), Jones (2009), Korner-Nievergelt (2015), etc.

Ces formules prétendent estimer la mortalité sur toute la période de suivi à partir :

  • du nombre réel de cadavres découverts
  • du % de surface effectivement prospectée
  • l’intervalle de temps entre deux passages
  • la durée de persistance moyenne des cadavres (obtenue avec les leurres)
  • le taux d’efficacité de l’observateur

Un premier point problématique apparaît à la lecture des formules proposées. Qu’il s’agisse d’Erickson, Jones ou Huso, la mortalité estimée est directement proportionnelle au coefficient de correction surfacique (noté A dans les formules, A = 1/taux de prospection). Cela signifie que le résultat est automatiquement doublé si vous n’avez pu prospecter que 50 % de la surface, triplé si vous n’avez pu en prospecter qu’un tiers, etc. Ce raisonnement serait valable si l’on considérait un phénomène très abondant, par exemple la chute de flocons de neige : si, sur une durée déterminée, je compte n flocons tombés sur une surface d’un m², je peux, sans trop me tromper, estimer le nombre de flocons tombés sur une surface de 2 m² : ce sera 2n. Mais il n’en va pas de même pour un phénomène aussi rare que la mortalité des oiseaux ou des chiroptères. Admettons que je ne puisse prospecter que la plateforme d’une éolienne car le reste est couvert des maïs impénétrable, ce qui arrive régulièrement pendant les suivis. La plateforme ne représente que 10 % de la surface à prospecter. Or, je découvre un cadavre d’oiseau sur cette plateforme : dois-je en déduire automatiquement que 9 autres cadavres se cachent, invisibles, au pied des maïs ? Ce raisonnement semble aberrant. C’est pourtant ce que proposent les formules de correction des biais.

Parmi les formules proposées, celle de Winkelman (1989) a probablement été jugée « trop simple » pour être retenue dans le protocole actuel. On lui préfère aujourd’hui des formules plus complexes. Mais ces formules donnent des résultats très différents les unes des autres (avec parfois un rapport 1 à 10 !) et il est impossible de savoir laquelle s’approche le plus de la réalité. Des travaux ont été menés sur la précision des estimations et notamment sur les intervalles de confiance par le biologiste français Aurélien Besnard (voir ici). Il a notamment montré que le cumul des sources d’incertitudes (liées à la taille de l’échantillon et à l’hétérogénéité du phénomène) aboutissait à des intervalles de confiance souvent très larges. Par exemple, pour 36 cas de mortalité annuelle, l’estimation selon la formule de Huso peut être – en fonction des paramètres – de 59 cas, avec un intervalle de confiance à 95 % de [28 ; 111] lorsque l’on réalise 100 sorties de prospection (ce qui est loin des préconisations du protocole 2018)? Si l’on passe à 12 sorties sans changer les autres paramètres, l’intervalle de confiance augmente encore et devient [0 ; 160].

Des estimations finalement inutilisables ?

Pour reprendre l’exemple du paragraphe précédent, comment interpréter une estimation de mortalité comprise entre 0 et 160 cas ? Pour prendre le cas d’une étude réelle, le suivi du parc éolien du Bois Joli réalisé par la LPO (voir ici) intègre le calcul des intervalles de confiance selon la méthode de Besnard. A partir de 8 cadavres de chauves-souris réellement découverts entre mi-mai et fin octobre, l’estimation selon la formule de Huso est de 26,68 cas de mortalité, avec un intervalle de confiance de [3,44 ; 61,94]. Notons au passage que la limite inférieure de l’estimation (3,44) est bien en-dessous de la mortalité réellement constatée (8 cadavres) ! Mais surtout, que conclure sur la base de cette estimation ? Trois cas, vingt-sept cas ou soixante-deux cas de mortalité n’ont pas du tout le même impact, surtout pour des animaux à reproduction lente comme les chauves-souris…

Dès lors, que préconiser en termes de suivi, bridage ou autres mesures à la lecture d’estimations aussi peu précises ? Le résultat est bien décevant si l’on considère les efforts déployés pour réaliser des tests de persistance, proposer des formules d’estimation de plus en plus complexes ou encore établir des intervalles de confiance via les techniques de bootstrap. Si l’on ajoute que les estimations ne donnent aucune information sur les espèces impactées, le jeu en vaut-il toujours la chandelle ? Ne faut-il pas tout simplement abandonner l’idée d’une estimation annuelle ou mensuelle de la mortalité puisque cette dernière nous apporte in fine si peu d’information ?

Propositions pour améliorer les suivis de mortalité

Le protocole actuel propose d’échantillonner pour ensuite estimer. Or, nous pensons que la mortalité liée aux éoliennes est un phénomène trop rare et trop irrégulier pour être étudié de cette manière. Le calcul des intervalles de confiance semble d’ailleurs confirmer cette intuition.

Les deux principales faiblesses de la méthode actuelle sont, comme nous l’avons vu, les tests de persistance (peu représentatifs) et les formules d’estimation qui en découlent (peu précises). Nous proposons donc de nous en affranchir, tout en conservant les autres préconisations du protocole notamment la surface et la période de recherche.

Nous pensons que la question de la mortalité devrait davantage prendre la forme d’une enquête dont l’objectif est de découvrir un maximum de cas de mortalité réelle. Les cas de mortalité réelle nous apportent une information beaucoup plus riche et beaucoup plus fiable que les estimations. Nous proposons donc de réaliser les recherches de cadavres, non pas à intervalle régulier, mais dans les conditions où la découverte de cadavre est la plus probable. Pour cela, les prospections doivent être réalisées :

  • en premier lieu, lorsque les conditions saisonnières et météorologiques sont les plus favorables aux collisions. Pour les chauves-souris, par exemple, le lendemain de nuit chaudes et sans pluie.
  • deuxièmement, autant que faire se peut, lorsque les conditions de prospections sont favorables. Par exemple lorsque, sous les éoliennes, les prairies viennent d’être fauchées ou les champs labourés.

Une prospection dans un champ labouré, avec une bonne visibilité, le lendemain d’une nuit chaude propice à l’activité des chiroptères, donnera une information bien plus intéressante qu’une prospection dans une végétation haute après trois nuits de mauvais temps. Ainsi, nous cherchons non pas à corriger les biais mais à les minimiser systématiquement.

Reste à définir quelles sont les « conditions favorables aux collisions ». Pour les chiroptères, nous en avons déjà une idée assez précise. Mais la collecte des données d’activité à hauteur de mât (enregistrements ultrasonores) pourrait encore permettre d’optimiser notre protocole. On peut ainsi imaginer que le dispositif transmette quasiment en temps réelle l’activité enregistrée autour des éoliennes et que le bureau d’études chargé du suivi intervienne systématiquement après les nuits à forte activité chiroptérologique.

Concernant les oiseaux, il faudrait également définir précisément quelles sont les conditions présentant le plus grand risque de collision. Certains auteurs avancent par exemple que le mauvais temps (brouillard, vent fort…) incite les oiseaux à voler plus bas, ce qui les exposerait à un plus grand risque de collision.

On réaliserait ainsi le nombre de sorties exigé par le protocole de 2018, mais en les plaçant à des dates décisives plutôt qu’à des dates quelconques comme c’est actuellement le cas. Concernant l’interprétation, on raisonnerait uniquement sur les dates « à risque » plutôt que d’extrapoler sur des semaines, des mois ou des année entières. Que nous importe en effet une estimation de mortalité de chiroptères sur une période où ces animaux n’ont pas quitté leur gîte ?

En conclusion, le protocole dans sa version 2018 a permis d’obtenir beaucoup d’informations quant à la mortalité des oiseaux et des chauves-souris : saisons à risque, distance entre mât et cadavres découverts, etc. Mais la quantité et la qualité d’information fournies par les études actuelles semblent stagner et l’estimation de la mortalité reste très imprécise faute de découvrir un maximum de cas réels. Cinq ans après la mise en place de ce protocole, il nous paraît indispensable de l’adapter de manière à ce que les bureaux d’études puissent optimiser le temps passé sur le terrain et améliorer leur chance de découvrir les cas de mortalité réels, seule clef de compréhension du phénomène.

Plus de 200 espèces animales sur un seul hectare : les leçons d’une prospection intensive

L’idée de cet article m’est venue en considérant le nombre d’espèces animales que nous avons observées dans notre petit hameau breton : plus de 200 ! Deux-cent espèces identifiées en une dizaine d’années, dont près de 50 espèces d’oiseaux et plus de 100 lépidoptères. Quelles leçons tirer de cette étonnante biodiversité « ordinaire » ?

Notre connaissance de la nature n’est jamais parfaite

Deux-cent espèces peuvent donc être découvertes sur un très petit territoire, composé essentiellement de pelouses, d’arbres d’ornement et de plantations. La chose paraît étonnante, pour ne pas dire impossible. Un naturaliste parcourant ce hameau pendant une journée n’en découvrirait peut-être qu’une dizaine ou une vingtaine selon la période de l’année. C’est le temps passé – ici, en l’occurrence, une prospection quasi-quotidienne – qui permet d’allonger la liste des espèces, quasi indéfiniment ! Car le rythme des découvertes ne faiblit guère. Si mon attention s’est d’abord portée sur les vertébrés, la découverte des lépidoptères, des coléoptères et plus récemment des araignées m’a permis d’aller de trouvaille en trouvaille ces cinq dernières années.

La première leçon de cette prospection intensive serait donc la suivante : de très nombreuses espèces animales peuplent les jardins et les abords de nos habitations. Une liste d’espèces n’est jamais vraiment complète. Des espèces apparaissent selon les saisons, au fil des années et… lorsque notre intérêt et nos connaissances augmentent !


Quelques mètres-carrés suffisent

Comme nous l’avons dit précédemment, notre hameau n’a rien d’un milieu naturel remarquable. Il présente même un aspect relativement « jardiné ». Son atout principal en termes de biodiversité est certainement l’absence de clôtures. Dans un paysage agricole dominé par les cultures intensives, il constitue un refuge facile d’accès pour le faisan, le lièvre et parfois même le chevreuil !

Des micro-habitats de quelques mètres-carrés abritent les espèces de petite taille : tas de bois, compost, vieilles souches, tas de pierres, potager… Quelques bandes d’herbes « sauvages », épargnées par la tondeuse, assurent le gîte et le couvert à de nombreux insectes. Enfin, les maisons elles-mêmes peuvent servir d’abris, notamment aux chiroptères.


Un réseau de jardins pour la biodiversité

Si un seul jardin peut abriter tant d’espèces, ne faut-il pas reconsidérer – à l’instar de l’association « Jardins de Noé » – le rôle que pourraient jouer des milliers de petites parcelles privées, en ville comme à la campagne ? Comme nous venons de le voir, il est facile pour un particulier d’accueillir une faune sauvage variée sur son terrain sans pour autant renoncer à l’usage récréatif ou productif de ce dernier. Mais avant-même de semer une prairie fleurie ou d’installer un nichoir à oiseaux, la première chose à faire est d’observer avec patience et de chercher à connaître ces espèces que nous croisons au quotidien, souvent sans nous en rendre compte. Ouvrons les yeux car elles sont plus nombreuses que nous le croyons !