Prédation par les chats : quel risque pour la faune sauvage ?

Depuis quelques années, l’impact du chat domestique sur la faune sauvage est régulièrement mis en avant. En France, plusieurs dizaines de millions d’oiseaux seraient tués chaque année par les millions de chats domestiques présents dans nos villes et nos campagnes. Le chat domestique peut-il être impliqué dans le déclin de la faune sauvage ?

Le chat, un nouveau venu ?

Le chat aurait été apprivoisé par l’Homme il y a près de 10.000 ans dans le bassin méditerranéen. On trouve des témoignages de sa domestication dans l’Égypte antique, sur les mosaïques de Pompéi et dans l’Europe du bas Moyen-âge. Si sa perception n’est pas identique chez tous les peuples, son utilité comme « dératiseur » et protecteur des récoltes semble faire l’unanimité. Le chat est en effet un prédateur redoutable, capable de capturer plusieurs rongeurs chaque jour – ou plutôt chaque nuit. On imagine que jusqu’au début du XXème siècle, les chats domestiques des fermes allaient et venaient assez librement, qu’on ne les nourrissait pas de croquettes et qu’on ne les stérilisait pas. Les félins devaient donc former une population relativement nombreuse, vagabonde et chassant beaucoup. On peut raisonnablement penser que le chat domestique jouait déjà dans les habitations et les fermes un rôle similaire à celui de la Martre ou du Renard en milieu sauvage.

Chat en chasse

La situation se complique à partir du XVIème siècle, époque des grandes explorations. Le chat fait alors une brusque apparition sur des territoires d’où il était jusque là inconnu. Voire même sur des terres où ne « sévissait » aucun prédateur comparable, comme certaines îles isolées du Pacifique et de l’Atlantique. La triste et fascinante histoire du Xénique de Lyall illustre le danger que représente l’introduction du chat pour des espèces endémiques particulièrement vulnérables. Si l’on met de côté ces introductions récentes en contexte insulaire, quel peut être l’impact du chat domestique sur la faune sauvage ? Prenons l’exemple de la France.

Des chats nombreux certes… mais efficaces ?

Il y aurait en France 14 millions de chats domestiques, auxquels il faudrait ajouter les chats errants et les chats harets (= redevenus sauvages) dont il est bien difficile d’estimer les effectifs. On peut imaginer que le total monte à 20 ou 30 millions d’individus en France métropolitaine. Les premiers, nourris par leurs maîtres, chasseraient par intermittence, surtout pour jouer, sans nécessairement consommer les proies qu’ils capturent. Les seconds – chats errants et chats harets livrés à eux-mêmes – seraient de plus redoutables prédateurs.

Pour comparaison, les effectifs français de Renard roux seraient compris entre 600.000 et 1 million d’individus*. Nous sommes donc bien en dessous des effectifs mentionnés pour les chats. Quant aux mustélidés, même les plus communs comme la Fouine ou la Martre sont très loin d’atteindre le million d’individus. Et concernant les rapaces, même les plus communs comme la Buse variable ou le Faucon crécerelle n’atteignent pas la barre des 500.000 individus sur le territoire national. Parmi les vertébrés, le chat serait donc de loin le prédateur le plus abondant en France métropolitaine. Il est même possible que les chats soient plus nombreux que tous les autres prédateurs vertébrés réunis !

La LPO estime à 75 millions le nombre d’oiseaux tués chaque année par les chats en France. Une enquête de la SFEPM montre quant à elle que les oiseaux ne représentent que 22 % des proies rapportées par les chats contre 66 % pour les mammifères. Si donc 75 millions représentent 22 %, alors le nombre total de proies annuel des chats serait de 340 millions.

Dans le même temps, combien de proies capturent les renards ? Si un renard consomme en moyenne 500 g par jour et que ses proies sont majoritairement des campagnols, des mulots et des lapins, on peut estimer qu’il a besoin en moyenne de 5 proies par jour. Prenons maintenant le chiffre de 800.000 renards présents sur le territoire national. Chaque jour, la prédation réalisée par cette espèce s’élèverait à 4 millions de proies. Soit près de 1,5 milliards par an. C’est 4 à 5 fois plus que les chats… Bien évidemment, ces chiffres ne sont que des ordres de grandeur. Mais il ne semble pas que le chat, malgré ses effectifs extrêmement élevés, exerce une pression de chasse exceptionnelle par rapport aux prédateurs sauvages.

Le chat rencontre rarement les espèces menacées

Intéressons-nous maintenant aux espèces prédatées par les chats. D’après l’enquête de la SFEPM, la proie la plus fréquemment capturée en France est la Souris grise. Parmi les mammifères, qui représentent 66 % des proies, les trois quarts sont des rongeurs (souris, campagnols, mulots). Les musaraignes et apparentés complètent le tableau. En dehors des mammifères, notons que les oiseaux représentent 22 % des proies, les reptiles 10 %. La part des amphibiens est marginale (moins de 1%).

Notons que les espèces capturées par les chat sont celles que l’on trouve à proximité des habitations, que cela soit en ville ou à la campagne : Souris grise, Campagnol des champs, Mulot sylvestre, Rougegorge familier, Mésange bleue, Merle noir, Lézard des murailles, etc. Ces espèces ne sont, à quelques exceptions près, pas menacées à l’échelle nationale. Contrairement aux espèces spécialisées (zones humides, vieilles forêts, etc.), les populations de ces espèces anthropophiles et ubiquistes se portent plutôt bien. Si les prélèvements réalisés par le chat peuvent avoir un impact local (jardin, lotissement, bourg), ils ne semblent pas menacer ces espèces à l’échelle nationale, ni même régionale.

Le Rougegorge familier figure au menu du chat. Il n’est pas en déclin pour autant.

Parmi les espèces dont la situation est la plus critique à l’échelle nationale, très peu sont chassées par les chats : Cigogne noire, Bécassine des marais, Blongios nain, Macareux moine, Râle des genêts ou encore Pic cendré ne sont pas victimes des chats. Idem pour le Vison d’Europe, le Lynx boréal ou la Grande Noctule. Enfin, on peut difficilement imputer aux chats le déclin de la Vipère péliade ou des amphibiens (ces derniers représentent moins d’un pour cent des proies). Il est bien rare d’observer un chat dans une zone naturelle éloignée de toute habitation. On imagine mal un chat s’aventurer dans un marais pour chasser alors que les jardins des alentours sont riches en petits rongeurs et en oiseaux, souvent attirés par les ressources alimentaires fournies – volontairement ou non – par l’Homme.

Conclusion : le chat, un prédateur (presque) comme les autres

La présence du chat domestique dans notre environnement n’est pas récente. Depuis des millénaires, cet animal rend de fiers services à l’Homme en débarrassant des rongeurs les fermes, les entrepôts et les maisons. Aujourd’hui, il est le prédateur le plus abondant de France, loin devant le Renard, les mustélidés ou les rapaces. Toutefois, ses prélèvements ne semblent pas aussi importants que ceux des espèces sauvages. Et on peut difficilement imputer au chat le déclin des espèces qui fréquentent marais, vieilles forêts ou haute montagne…

Dans les villes et les villages, le chat remplace dans la chaîne alimentaire les prédateurs naturels des petits oiseaux et des rongeurs. De même que les mustélidés ou les rapaces permettent la régulation naturelle de la petite faune des champs, le chat permet avant tout d’éviter la prolifération des rongeurs qui constituent ses proies de prédilection. Sans lui, nous aurions certainement recours à des moyens bien plus contestables tels que les poisons rodenticides. Finalement, le chat n’occupe-t-il pas une place laissée vacante dans les écosystèmes modifiés par l’Homme ?


* la densité moyenne est de 1 renard par km² sur un territoire français de 650.000 km². Les prélèvements à la chasse sur la saison 1998-1999 étaient d’environ 400.000 individus auxquels il faut ajouter près de 100.000 individus piégés annuellement, soit 500.000 individus prélevés (source : FNC, ONCFS, 2008). Pour qu’un tel prélèvement soit possible, il faut nécessairement que la population nationale de renards soit d’au moins 600.000 individus.

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