Biodiversité : les champs pires que la ville ?
Dans les esprits, la « campagne » a longtemps été associée à la faune des champs – alouettes, perdrix, lièvres, renards, serpents, insectes – tandis que la « ville » était un espace artificiel où la nature n’avait pas sa place, hormis quelques rats et pigeons. Aujourd’hui, les études se succèdent qui montrent l’état catastrophique des populations animales en milieu agricole. A l’inverse, des villes commencent à prendre en compte la biodiversité dans la gestion de leur territoire et certains « espaces verts » deviennent des zones de refuge pour la faune. L’ancien schéma serait-il en train de s’inverser ?
Le déclin alarmant de la faune des champs
En mars 2018, deux études du MNHN et CNRS dressaient un constat accablant à propos des oiseaux des milieux agricoles : leurs populations auraient régressé d’un tiers depuis 2001. Pour certaines espèces comme le Bruant jaune ou la Tourterelle des bois, ce déclin approchait même les 50 % ! En cause : une agriculture de plus en plus intensive, une homogénéisation des paysages, une forte diminution de la flore adventice, la suppression des 10 % de jachères obligatoires (depuis 2007-2008) et l’utilisation des pesticides.
En 2017, une étude allemande annonçait un déclin de 75 % des insectes volants (toutes espèces confondues) au cours des 30 dernières années. Là encore, les chercheurs suspectaient fortement les pesticides agricoles d’être à l’origine du déclin.
Au cours des dernières décennies, les paysages agricoles ont connu des transformations de grande ampleur. Dans l’Ouest de la France, la densité de haies s’est effondrée. Ainsi, la Bretagne a perdu 27 % de son linéaire de haies et de talus entre 1996 et 2008. Et la diminution continue, avec près de 1 % de perte tous les ans ! Le bocage traditionnel, complexe et plein de ressources pour la faune, laisse place à de vastes parcelles sans arbres, au sein desquelles les animaux ne trouvent plus d’habitats favorables.
Le remplacement des prairies permanentes par les cultures a également affecté la biodiversité. Les surfaces toujours en herbes, particulièrement favorables aux insectes et aux reptiles, disparaissent au même rythme que les haies. En Bretagne, où elle était jadis majoritaire, la prairie permanente ne représentait déjà plus que 18 % de la surface agricole en 1988. En 2013, seulement 8 % ! Les champs de maïs, particulièrement pauvres en espèces, couvrent aujourd’hui d’immenses surfaces.
Les parcs, jardins et friches urbaines, des refuges pour la faune ?
L’espace agricole se caractérise donc aujourd’hui par une homogénéité grandissante et par une perturbation incessante des milieux : récoltes, labours, traitements, coupe des arbres, défrichage, etc. En comparaison, le milieu urbain ou périurbain peut paraître paradoxalement plus diversifié et plus stable. Comparons (à droite) un espace agricole d’une vingtaine d’hectares avec la même surface en milieu urbain (petite ville de l’ouest de la France). La quantité d’arbres et la diversité des milieux est plus élevées en ville. Quant à l’artificialisation du sol, si elle est indiscutable dans les zones bâties de la ville, elle est aussi à l’œuvre, bien que plus discrètement, dans les champs où l’altération et l’érosion progressive des sols est difficilement compensée par l’apport d’engrais… Les deux milieux sont, chacun à leur manière, artificialisés, mais les perturbations en ville sont moins régulières et concernent rarement plusieurs dizaines d’hectares simultanément. Dans la mosaïque des jardins, parcs et autres coulées vertes, il reste toujours des habitats disponibles pour la faune. Cette relative stabilité permet à certaines espèces – certes peu exigeantes – de se maintenir sur le long terme. Rougegorge familier, Mésange bleue, Mésange charbonnière, Merle noir, Fauvette des jardins, Pinson des arbres, Pigeon ramier sont bien présents dans les espaces verts et les zones pavillonnaires. Par ailleurs, certaines espèces se sont spécifiquement adaptées aux villes, comme le Rougequeue noir ou l’Hirondelle de fenêtre.
Un suivi de l’avifaune du Jardin des plantes de Nantes, réalisé de 1993 à 2002, a donné des résultats surprenants : sur une superficie de seulement 7 hectares, 69 espèces ont été observées, dont 23 nicheurs réguliers et 7 nicheurs occasionnels ! Il serait impossible de retrouver de tels chiffres dans les milieux exploités par l’agriculture conventionnelle.Quant à la ville de Paris, elle revendique « près de 2000 espèces sauvages« , faune et flore confondues, dont 157 espèces d’oiseaux, 47 papillons diurnes et nocturnes, 27 odonates et 11 espèces de chauves-souris. Dans beaucoup de villes, une gestion différenciée des espaces verts est appliquée et, localement, des espaces « non-jardinés » commencent à être tolérés !
Enfin, si les jachères agricoles sont devenues une pratique marginale, des friches urbaines et péri-urbaines apparaissent régulièrement, en fonction du contexte économique et des politiques menées par les villes. Ces friches peuvent perdurer quelques années – parfois même quelques dizaines d’années – période pendant laquelle la végétation spontanée s’installe et offre à la faune des habitats intéressants.
En savoir plus sur les friches et les espèces qu’elles abritent
On constate souvent, à l’occasion d’études impacts menées sur ces milieux particuliers, qu’ils abritent entre autres des espèces réputées « bocagères » qui deviennent de plus en plus rares en milieu agricole. On y rencontre par eemple le Chardonneret élégant, la Linotte mélodieuse, le Verdier d’Europe, le Faucon crécerelle, le Lézard des murailles et de nombreux lépidoptères. La présence dans les friches
d’une végétation herbacée pérenne, chose de plus en plus rare en milieu agricole, explique en partie l’attrait qu’elles exercent sur la faune. En « laissant » se développer les petites plantes à fleurs et les graminées, les friches permettent aussi aux insectes d’accomplir leur cycle de vie. Ajoutons que ces espaces sont souvent interdits au public, ce qui assure une certaine quiétude aux espèces sensibles.
Reste que de nombreuses espèces typiques des milieux ouverts agricoles, comme le Tarier des prés, ne s’adaptent pas aux milieux urbains ou péri-urbains et que, quoiqu’il en soit, ces derniers ne représentent qu’un petit pourcentage du territoire, comparé à l’immensité des champs*. Aussi, quelques soient les efforts fournis au niveau des espaces verts dans les villes, ils ne concerneront toujours qu’une petite part du territoire et un nombre d’espèces limité. L’avenir de nombreuses espèces aujourd’hui en danger dépend essentiellement de l’évolution des pratiques agricoles.
* d’après l’atlas régional de l’occupation des sols en France, les territoires artificialisés représentent 6 % de la France métropolitaine, contre 59 % pour les territoires agricoles, 34 % pour les forêts et autres milieux « semi-naturels » et 1 % pour l’eau et les zones humides
Photos : E.Barussaud
Petite participation artistique à votre article : j’ai réalisé une série de dessins aux crayons de couleur évoquant, par une suite d’abeilles mortes, la pollution par les substances chimiques et les pesticides utilisés dans l’agriculture. A découvrir : https://1011-art.blogspot.com/p/vous-etes-ici.html
Cette série sera exposée à partir d’octobre au Muséum de Genève lors d’une exposition sur la perte de la biodiversité avec « La robe de Médée » sur ce même sujet : https://1011-art.blogspot.com/p/la-robe-de-medee.html