Compensation écologique : et si on s’inspirait de la permaculture…

Quels aménagements réaliser sur un site naturel de compensation ? Peut-on vraiment « recréer la nature » ? De nombreuses interrogations se posent quant aux mesures de compensation et à la restauration écologique. S’intéresser à la permaculture peut nous aider à faire certains choix.

D’abord, bien observer

Selon Bill Mollison, la « permaculture » est « une méthode de conception destinée à la création d’environnements humains soutenables. »  Elle s’appuie sur les lois universelles de la nature, non seulement pour produire de la nourriture, mais plus généralement pour subvenir aux besoins de l’Homme sans nuire à son environnement.

La première étape en permaculture consiste à bien prendre le temps d’observer le site que l’on souhaite aménager. Cette observation doit nous permettre de connaître les ressources et les contraintes naturelles du site afin d’en tirer le meilleur parti : quelle est sa topographie ? comment s’écoule l’eau ? comment varie l’ensoleillement en fonction des saisons ? que nous apprend la végétation spontanée sur le sol (pH, ressource en eau, vent) et sur le climat local ? Autant de questions qui vont permettre de bâtir un projet adapté. En plus de l’observation sur site, on aura également recours à des cartes, à des images aériennes anciennes et, si possible, à des témoignages de personnes qui connaissent le site depuis longtemps et qui l’ont vu évoluer.

Dans le cas d’un site naturel de compensation, on ne peut que conseiller une démarche d’observation similaire.

Si le site a gardé un aspect assez naturel, l’observation directe de la faune et de la flore, l’analyse de son environnement proche (dans un rayon de quelques kilomètres) et de son évolution permettent de connaître son potentiel.

Si le site a été très impacté par les activités humaines (agriculture intensive, friche industrielle, etc.), le recours aux archives est d’autant plus indispensable, notamment aux photographies aériennes des dernières décennies. Elles permettent en effet de mettre en évidence des caractéristiques, par exemple des zones humides, qui sont actuellement totalement « masquées ».

Cette phase d’observation doit permettre de répondre à des questions telles que :

  • L’apparence actuelle du site (végétation notamment) traduit-elle fidèlement ses caractéristiques (sol, climat, exposition) ou bien l’usage que l’on en fait va-t-il à l’encontre de sa « vocation naturelle » ?
  • Sur quels éléments (biotiques et abiotiques) actuellement présents puis-je m’appuyer pour améliorer le site ?
  • Quel élément fait véritablement obstacle à un fonctionnement naturel et durable de l’écosystème ? Comment corriger cela ?
  • Les images aériennes anciennes montrent-elles des motifs naturels (sinuosité d’un cours d’eau, effets de lisière) qui auraient été « gommés » du paysage pour des raisons économiques ?
  • Mon site est-il connecté à d’autres milieux naturels, via le réseau hydrographique ou des « corridors verts » ?
  • En conséquence, de nouvelles espèces peuvent-elles coloniser le site si j’y apporte quelques améliorations ? Que puis-je raisonnablement espérer pour l’avenir ?

 

Si l’objectif de la compensation écologique est de recréer de la naturalité, il faut alors avant tout éviter de faire « table rase » de tout ce qui existe (ou a existé) sur notre site. Au contraire, il faut comprendre la trajectoire que suit l’écosystème et tenter de l’infléchir dans le bon sens, par des actions si possibles légères et ponctuelles, en s’appuyant à la fois sur les lois universelles de la nature et sur les particularités locales.

Hétérogénéité et effets de lisière

La permaculture met en avant l’intérêt de disposer d’une multitude de ressources :

  • en créant des micro-habitats comme des buttes pour les cultures, des spirale montantes pour les aromates (variation de l’exposition), des noues (ou baissières) pour retenir l’eau, des îlots sur les plans d’eau ou encore une serre ou une ombrière contre la maison
  • en utilisant différentes espèces de légumes, d’arbres fruitiers, de plantes aromatiques et aussi d’animaux (poules, moutons, wallabys…), remplissant différentes fonctions

Plutôt que des lignes droites et des formes géométriques, des « motifs naturels » sont recherchés : motif dendritique (ou arborescent), motifs sinueux des cours d’eau, forme des dunes et autres accumulations de sédiments. L’accent est également mis sur l’effet de lisière. Selon Bill Mollison, « la productivité augmente toujours en ces endroits de rencontre de deux écologies. (…) Nous aussi, nous pouvons augmenter la productivité d’un système en jouant sur la forme des lisières. Une ligne courbe est souvent plus avantageuse qu’une ligne droite (…) ». Ainsi, les lobes et les créneaux produisent des micro-habitats avec différentes expositions au vent et au soleil. Le système des chinampas est « une combinaison très productive de fossés et d’îles tout en longueur ». Quant aux cultures en bandes, elles permettent des productions variées et complémentaires.

On peut également reprendre ces principes pour la restauration d’un site de compensation :

  • créer (ou recréer) des motifs naturels et notamment des effets de lisière : alternance de pentes douces et abruptes sur un plan d’eau, création de clairières dans un boisement, restauration d’un « bras mort » de rivière, etc.
  • favoriser une micro-hétérogénéité par la création de micro-habitats au sein de milieux homogènes : arbres morts et souches dans un boisement, vieilles constructions en pierres sèche dans un paysage rural, îlots sur un plan d’eau, etc.

 

Recréer des motifs naturels et des micro-habitats sur un site de compensation : exemples de la lisière et du cours d’eau

 

 

Objectif : le long terme

L’un des objectifs de la permaculture est de limiter l’utilisation d’énergie pour produire, qu’il s’agisse du carburant des machines mais aussi du travail manuel. Ainsi, on cherche à mettre en place des écosystèmes les plus autonomes possibles où l’Homme n’intervient  que ponctuellement. Pour cela, il faut :

  • disposer d’une grande variété d’espèces animales et végétales, toutes adaptées au milieu
  • et que le site soit suffisamment vaste

Par exemple, si on laisse les poules parcourir plus ou moins librement – selon les saisons – le verger, la pelouse et le potager, elles demandent moins de soins et rendent davantage de services (fumier, désherbage, régulation des limaces et des insectes, etc.) que si elles restent confinées dans un petit enclos toute la journée. De même, une mare de 50 m² accueillera une grande diversité de plantes et d’animaux et demandera beaucoup moins de travail d’entretien qu’un bassin dix fois plus petit dans lequel un équilibre aura du mal à s’installer. Enfin, la récolte risque moins d’être totalement détruite par un parasite dans un potager ou un verger aux essences diversifiées que dans une monoculture.

Dans le cas d’un site de compensation écologique, l’idée n’est pas d’intervenir tous les ans ou plusieurs fois par an pour maintenir un équilibre. Une telle situation n’aurait rien de naturelle et le devenir du site, sur le long terme, serait incertain. Pour mettre en place un écosystème relativement équilibré et résilient, où l’intervention humaine est la plus faible possible, on cherchera :

  • à avoir un site suffisamment vaste – ou suffisamment connecté à d’autres sites comparables – pour qu’un équilibre s’y installe et s’y maintienne, ce qui est aussi l’un des principes de base de l’écologie du paysage,
  • à ce que l’écosystème comporte de nombreuses composantes biotiques et abiotiques en interaction, ce qui lui donne une meilleure résilience et une meilleure « autonomie » par rapport à un écosystème trop simplifié

Gardons toutefois à l’esprit que, même « équilibré », un écosystème évolue sur le long terme. Si une mare non entretenue se comble rapidement, le même phénomène se produit aussi, sur le long terme, pour un étang. Il paraît plus sage et plus naturel de prendre en compte cette lente évolution et de l’accompagner plutôt que de vouloir sans cesse ramener le site à son état initial au prix d’un incessant travail.

 

De l’aquarium à l’étang : de plus en plus grand, de plus en plus diversifié, de plus en plus durable !

 

 

BIBLIOGRAPHIE :

MOLLISON B. 1991. Introduction à la permaculture.

FISCHESSER B. & DUPUIS-TATE M-F. 1996. Le Guide illustré de l’écologie, Éditions de la Martinière / Cemagref Editions. 319 p.

 

Photos : Émilien Barussaud (marais de Brière) et Aurélie Barussaud (campagne bretonne)

0 réponses

Laisser un commentaire

Rejoindre la discussion?
N’hésitez pas à contribuer !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *