Cryptozoologie : quel animal se cache derrière le « monstre » du Loch Ness ?
La plus vieille des énigmes naturalistes
Le monstre du Loch Ness est sans doute l’une des plus anciennes énigmes proposées aux naturalistes, et très certainement celle qui a fait coulé le plus d’encre. Bon nombre de naturalistes sérieux se sont penchés sur la question. Quant aux témoins oculaires, ils seraient plus d’un millier.
Une fois écartées les explications simplistes et fainéantes (« attrape-touriste », « hallucination collective » et autres « vapeurs de whisky »…) la première question que peut se poser un naturaliste est : Qu’ont-ils vu ? Un animal extraordinaire qui n’a jamais été décrit ? Quelque chose de banal mais que les circonstances ont empêché d’identifier correctement ?
Après avoir lu une grande quantité de témoignages, il nous semble que l’animal observé ne soit ni une espèce très commune dans le loch comme une anguille, ni une créature inconnue ressemblant à un plésiosaure. Il s’agit d’une espèce animale connue mais dont la présence à cet endroit est rare, ce qui explique les difficultés d’identification. L’espèce en question est le phoque. Plus précisément, certainement le Phoque gris (Halichoerus grypus) dont nombre de caractéristiques correspondent très bien aux témoignages.
Bosses en surface, taille et couleur variables, attitude
La majorité des personnes ayant vu « Nessie » ont rapporté avoir vu des « bosses », aux formes parfois changeantes et en nombre variable. C’est l’aspect du « monstre » le plus fréquent, bien loin devant l’emblématique – mais trompeuse – représentation du long coup et de la petite tête de dinosaure. Par exemple, l’un des plus anciens témoignages, celui de Mr Hugh Grey (13 novembre 1933), évoque un corps « qui émergeait de 60 à 90 cm« . « Je n’ai pas vu la tête – continue le témoin – mais il y avait un mouvement remarquable de ce qui semblait être la queue ; l’objet ne resta visible que quelques minutes« . L’objet observé est « lisse, brillant et gris sombre« . Ce témoignage est rapporté par Jean Berton dans « Les monstres du Loch Ness et d’ailleurs » (1977). Il correspond parfaitement avec un phoque gris, qu’il s’agisse du mouvement de la queue, de l’aspect de la peau ou même la durée de l’observation. L’estimation de la dimension de la partie émergeante (60 à 90 cm) est également cohérente avec une observation de Phoque gris.

La question de la taille du monstre du Loch Ness est un problème épineux. Certains témoignages évoquent un animal d’un mètre seulement. D’autres observateurs ont estimé la longueur de l’animal à une vingtaine de mètres. L’écart est de taille ! Reconnaissons d’emblée qu’il est difficile d’estimer la taille d’un objet sur une étendue d’eau uniforme, sans éléments de comparaison.
Un film de Tim Dinsdale, tourné en 1960 (voir la vidéo ici), a été analysé par le JARIC (Joint Air Reconnaissance Center). Les experts ont conclu que l’objet se déplaçait à une vitesse d’environ 16 km/h, ce qui rentre tout à fait dans les possibilités d’un phoque en milieu aquatique. Le JARIC indique également que les dimensions de l’objet seraient de 1,80 mètre sur 1,50 mètre. Le Phoque gris mesurant entre 2 et 3,50 mètres de long, il est possible que la partie de son cops visible en surface ait les dimensions indiquées. Sur un autre film, pris par Richard Raynor en 1961, les experts du JARIC indiquent que la longueur de l’objet est de 2,10 mètre. Dans les deux cas, il pourrait donc d’agir d’un phoque solitaire.
Dans d’autres cas, les témoins affirment que l’animal possède trois, quatre, voire même six bosses, et que sa longueur atteindrait vingt ou vingt-cinq mètres. Ce qui est étonnant dans ces témoignages, c’est que les bosses changent de forme et que leur nombre aussi évolue tout au long de l’observation. Le « monstre » aurait-il un corps immense, capable de changer de forme rapidement ? En fait, l’appartenance de ces différentes « bosses » à un seul et même animal est une interprétation de certains témoins, tandis que d’autres évoquent plusieurs animaux. Ainsi, comme le rapporte Jean Berton, un jour de 1937, A. Smith et A. Considine « virent dans le sillage de leur canot à moteur trois petits monstres d’environ un mètre de longueur« . Ainsi, poursuit Jean Berton, « bon nombre de gens ont affirmé qu’ils avaient vu deux et parfois trois monstres qui nageaient ensemble en surface« . Cela correspond parfaitement à la description d’un groupe de phoques, chaque animal formant une ou deux bosses pouvant apparaître ou disparaître au gré de ses plongées. L’hypothèse des phoques permet donc d’expliquer à la fois la variabilité de la forme et de la taille de la créature du Loch Ness.


Deux phoques gris pouvant être pris pour un seul animal. Crédit photo.
Notons au passage que certaines théories concernant l’identité du monstre ne résistent pas à l’analyse du comportement de l’animal. En effet, a-t-on déjà vu une anguille vivante se tenir à la surface de l’eau pendant de longues minutes ? Or, beaucoup de témoins indiquent qu’ils ont observé l’animal pendant plus de dix minutes. Ainsi, Mrs Moir et Mrs Grant, en 1936, observent l’animal, « immobile sur la surface du loch […] pendant quatorze minutes » (in Jean Berton, 1977). Pendant l’été 1982, Ms MacDougall vit une bosse stationnant au milieu du loch. « L’objet était de couleur grise et, après être resté immobile pendant trois minutes, il plongea pour réapparaitre au même endroit et y rester pendant sept minutes. Enfin, il disparut définitivement » (cité par B. Grison, 2016). Encore une observation qui correspond bien plus à un pinnipède qu’à un poisson !
Un autre critère permet d’écarter la piste de l’anguille : il s’agit des observations de l’animal sur la terre ferme. Ainsi, Arthur Grant, en janvier 1934, observe sur la rive du lac un animal massif, se déplaçant par bonds. L’anguille est-elle un animal massif qui se déplace par bonds ? Assurément non.
Le 22 juillet 1934, les époux Spicer observent « un monstre de forme allongée de plusieurs mètres traversant la route puis disparaître dans l’eau du lac« . L’animal se déplace « en se contractant et se propulsant« . Une décennie auparavant, en avril 1923, Mr A. Cruikshank observe, dans la lumière de ses phares, un gros animal se tenant au bord de la route. « Il avait un corps gros et arqué d’une hauteur d’environ un mètre quatre-vingts et il se traînait sur son ventre. (…) Il se déplaçait lentement, s’éloignant de la route, et se dandinait sur deux pattes que j’ai vues sur le côté. J’ai vaguement aperçu comme une grosse tête avec une face aplatie qui était directement articulée sur le corps, c’est à dire qu’il n’y avait pas de cou« . Ces témoignages « terrestres » plaident de manière assez unanime pour un mammifère marin capable de sortir de l’eau mais se déplaçant sur terre de manière pataude. En un mot : un phoque !
Concernant maintenant la couleur de l’animal, Jean Berton résume ainsi les témoignages qu’il a complié : « La couleur de l’animal semble variable (…) : gris très foncé ou grisâtre, marron acajou ou marron clair avec des taches plus foncées ou des marbrures. Selon certains témoins la gorge est blanche« .

Encore quelques éléments en faveur du phoque
Quelques autres éléments permettent de conforter l’hypothèse du phoque. D’une part, certains témoins affirment avoir vu l’animal faire de la buée en respirant. C’est le cas du Comte Bentick qui observa, en 1934, la partie supérieure d’une tête qui se trouvait au ras de l’eau. « De la bouche sortait une sorte de vapeur que dissipait aussitôt la brise fraîche » (in Jean Berton, 1977). D’autres témoins affirment que l’animal porte sur la tête une pilosité, parfois assimilée à une crinière, ce dernier élément ramenant au mythique « cheval des eaux« . La crinière en question ne pourrait-elle pas être en réalité la « moustache » d’un phoque tenant sa tête à la verticale, dans une attitude bien caractéristique illustrée ci-dessous ? Cette position de la tête expliquerait également les témoignages relatif à des yeux « absents », « invisibles » ou « bridés »…

Pourquoi les témoins n’ont-ils pas identifié le phoque ?
Le Phoque gris (Halichoerus grypus) est une espèce assez largement répartie en Atlantique Nord, dans les îles britanniques, en Mer du Nord et Scandinavie. En France, on peut l’observer sur la côte atlantique, particulièrement en Bretagne. Ce n’est donc pas une espèce particulièrement rare à l’échelle européenne. Considérons toutefois les observations de l’espèce en Bretagne, d’après la base de données Faune-Bretagne. Les observations de l’espèce à proximité de ses colonies reproductrices sont assez abondantes. Par exemple, le Finistère totalise près de 4.000 données au cours des 25 dernières années. En revanche, dès que l’on s’éloigne un peu des sites de reproduction, l’espèce, pourtant bien présente, est rarement observée. Ainsi, le Morbihan compte à peine plus de 200 données de l’espèce ces 25 dernières années, soit une petite dizaine par an. Ce total est extrêmement faible quand on sait que des dizaines de naturalistes expérimentés et équipés parcourent les côtes morbihannaises presque quotidiennement ! Les apparitions du Phoque gris en surface sont souvent brèves et, malgré sa taille, l’animal peut passer inaperçu entre les rochers sombres des côtes bretonnes.
Il en va probablement de même au Loch Ness : bien que l’espèce soit largement répartie le long des côtes écossaises, elle passe probablement souvent inaperçue en dehors de ses colonies de reproduction. Ajoutons à cela le fait que l’espèce ne fréquente le Loch Ness qu’occasionnellement et que les « témoins » de ses apparitions sont rarement des naturalistes habitués à observer les mammifères marins. En un mot, est-il illogique qu’un néophyte ne parvienne pas à identifier un animal qu’il observe pour la première fois de sa vie, de loin et dans un habitat de surcroit inhabituel pour l’espèce ? Pour une large part des témoignages, on pourrait ajouter « qui plus est au début du vingtième siècle », époque à laquelle le grand public a peu accès à des photographies naturalistes.
Précisons enfin – et c’est la moindre des choses ! – que des phoques ont déjà été observés et identifiés comme tels au Loch Ness. Ainsi Benoit Grison (2016) indique qu’en octobre 1999, Dick Raynor a filmé le Phoque gris dans le Loch, et que le naturaliste écossais Gordon Williamson a pu prouver la présence du Phoque commun (Phoca vitulina) dans le Loch en 1984-1985. L’observation de phoques dans le loch est donc documentée. Sa présence occasionnelle expliquerait aussi que les témoignages concernant « Nessie » soient groupés dans le temps, certaines années donnant lieu à beaucoup d’observations et d’autres à aucune (une liste des films et vidéos du monstre « réel » établie par Wikipédia mentionne ainsi 7 témoignages pour la seule année 1967 mais aucun de 1970 à 1974).

Le Phoque gris adopte parfois des postures étonnantes qui peuvent rendre son identification difficile. Ci-dessus, on pourrait même confondre la tête et la queue ! Crédit photo
Et le long cou, alors ?
La célèbre « photo du chirurgien » – probablement truquée – a popularisé l’image « plésiosaurienne » de Nessie, avec son long cou de cygne et sa petite tête reptilienne. Mais cet élément est loin d’être le plus récurrent parmi les témoignages. Comme nous l’avons vu plus haut, beaucoup de témoins ne mentionnent que des bosses et certains pointent même l’absence de cou. Du reste, dans certaines postures, le Phoque gris peut présenter quelques analogies avec l’image d’Epinal de Nessie. Notre pinnipède peut en effet se tenir à la verticale, une grande partie du corps au-dessus de la surface et la tête formant un angle droit avec le corps (photos ci-dessous).
Le site intitulé « Registre officiel des observations du monstre du Loch Ness » montre de nombreuses photos récentes. Si certaines sont trop lointaines ou trop floues, beaucoup montrent une bosse correspondant bien à la tête d’un phoque, parfois accompagnée d’un sillage caractéristique. Le Phoque gris est ainsi le candidat idéal pour expliquer la photographie prise en 2018 par la jeune Charlotte Robinson ou encore celle prise par Parry Malm en avril 2024. Mais surtout, aucune photo récente ne montre clairement une créature possédant un cou très élancé et serpentiforme.
En résumé, le cou très élancé est très minoritaire parmi les témoignages et il ne figure que sur une seule photo : celle datant de 1934 et dont l’authenticité est très douteuse. Il est possible que le long cou soit surtout présent dans l’imaginaire collectif, alimenté par la mode des dinosaures (le premier King Kong, sorti en 1933, montre un dinosaure à long cou, de même que Jurassic Park, sorti en 1993).


Phoques gris dans la posture de « Nessie » – Crédit photo gauche – Crédit photo droite
Une explication évidente au milieu d’hypothèses farfelues
Depuis près d’un siècle, de nombreuses théories concernant l’identité de Nessie ont été présentées. L’hypothèse du phoque a déjà été formulée. Adrian Shine, spécialiste du Loch Ness, la juge possible dans ce documentaire de 2016. Mais elle n’a jamais été particulièrement développée. Chez beaucoup d’auteurs, elle se trouve mise sur un pied d’égalité avec des théories aussi étranges que celle de l’anguille (dont nous avons exposé les faiblesses ci-dessus), celle de l’esturgeon (qui rencontre les mêmes objections), celle du paillasson végétal, du tronc d’arbre propulsé par des gaz (?!) ou encore celle, absurde, du mollusque géant.
Alors que le phoque peut expliquer la quasi-totalité des témoignages et des photographies, pourquoi continuer à émettre des hypothèses improbables et à mener des recherches mobilisant sonar ou ADN environnemental ? Serait-ce justement pour entretenir le mystère ? Possible !

Un peu de bibliographie sur le monstre du Loch Ness et la cryptozoologie :
Jean Berton, 1977 « Les monstres du Loch Ness et d’ailleurs »
Benoit Grison, 2016 « Du yéti au calmar géant, le bestiaire énigmatique de la cryptozoologie »
Le « Loch Ness Mystery Blog »
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