Nouveaux quartiers : comment favoriser la biodiversité
Il est de plus en plus demandé aux urbanistes d’intégrer la biodiversité dans les projets de nouveaux quartiers. La loi « climat et résilience » du 22 août 2021 (voir ici) renforce encore cette obligation : lutte contre l’artificialisation des sols, préservation et restauration de la biodiversité, nature en ville, etc.
Point de départ : l’observation
Dans la plupart des cas, même en ville, des espèces animales et végétales sont déjà présentes sur les sites que l’on souhaite aménager ou transformer. Elles forment des écosystèmes plus ou moins complexes et plus ou moins riches en espèces. Ainsi, les vieux bâtiments d’une friche industrielle peuvent abriter des nids d’oiseaux, des plantes peuvent coloniser un ancien parking ou encore des reptiles peuvent s’être installés sur une voie de chemin de fer désaffectée.
Il faut donc avant tout réaliser un inventaire des espèces et des habitats existants, aussi appelé « état initial ». Cette étape est d’autant plus indispensable que beaucoup d’espèces animales, mêmes communes, sont protégées par la loi, de même que les habitats dont elles dépendent. Par ailleurs, plutôt que de vouloir « créer » de la biodiversité à partir de rien, mieux vaut s’appuyer sur l’existant : telle haie qui pourrait être conservées, telle prairie qui pourrait être améliorée, etc.
Les écosystèmes ont besoin de temps pour se mettre en place. Si vous pouvez préserver certains éléments (sol, talus, plantes), cela représentera du temps de gagné.
La biodiversité : une construction hiérarchisée
Parmi les éléments qui constituent un écosystème, le sol joue un rôle déterminant. Ses caractéristiques (profondeur, ressource en eau, pH, nutriments, exposition) déterminent le type de végétation qui va pouvoir s’y développer. Si l’on ne dispose que d’un sol peu profond avec de faibles ressources en eau et exposé au vent – comme sur un toit de bâtiment où une zone d’affleurement rocheux – mieux vaut s’inspirer des écosystèmes de milieux pionniers et rupicoles. Sur un sol un peu plus profond, avec un pH acide, on pourra créer une lande à ajoncs et bruyères. Enfin, si l’on dispose d’une situation abritée, d’une grande superficie et de sols profonds, on pourra s’inspirer des écosystèmes de type forestier.
La végétation – vivante et en décomposition (humus) – conditionne largement la faune invertébrée : collemboles, vers de terre, insectes, etc. La faune invertébrée et la végétation permettent la présence d’une faune vertébrée qui occupe le sommet de la chaîne alimentaire : oiseaux, mammifères, reptiles… Pour recréer un écosystème, il faut donc se préoccuper en premier lieu du sol, puis de la végétation et en dernier lieu de la faune, laquelle colonise spontanément le milieu lorsque les deux premiers éléments sont réunis.
Rappelons que les invertébrés constituent la très grande majorité de la biodiversité animale. Les insectes à eux-seuls comptent environ 40.000 espèces en France contre 1.500 espèces pour tous les vertébrés réunis (oiseaux, reptiles, mammifères…). Enfin, la flore française compte environ 10.000 plantes vasculaires. Ce sont donc les plantes et la faune invertébrée qui constituent environ 99 % de la biodiversité dans tout écosystème.
Ajoutons enfin que les éléments qui constituent les écosystèmes (un sol, une haie, une mare, un insecte…) remplissent chacun plusieurs fonctions. Une mare, par exemple, est nécessaire à la vie des coléoptères aquatiques et des plantes hygrophiles, elle permet la reproduction des amphibiens et des libellules, elle permet aux oiseaux de boire lors des épisodes de sécheresse, etc. Un campagnol, en plus de nourrir rapaces et renards, creuse des terriers et ronge la végétation, transformant ainsi le milieu.
Hôtels à insectes, nichoirs, micro-forêt : de bonnes idées ?
Après ce rappel, on peut donc légitimement s’interroger sur l’intérêt d’éléments tels que les hôtels à insectes ou les nichoirs à oiseaux. D’une part, ces « outils » n’ont qu’une seule fonction (« loger » les insectes ou les oiseaux) contrairement aux éléments naturels qui, comme nous venons de le voir, en ont plusieurs. D’autre part, ces éléments « s’adressent » à des espèces communes et qui trouveraient facilement ces fonctions dans un écosystème naturel. Un tas de pierres, un coin de prairie non fauché ou une vieille souche d’arbre feront aussi bien qu’un « hôtel à insecte ». Enfin, ces éléments sont souvent mal positionnés dans le paysage : hôtel à insecte sur un rond-point, nichoir sur une façade exposée aux intempéries, etc. On se demande parfois si le but de ces installations est d’être utilisées par les animaux… ou bien d’être remarquées par les promeneurs. Des nichoirs ou des gîtes à chiroptères discrètement intégrés dans des bâtiments seront bien plus utiles (voir ici pour des exemples).
Quant à la « micro-forêt urbaine » – qui suscite aujourd’hui un certain engouement – il s’agit d’un abus de langage, voire d’un oxymore. Par définition, la forêt est un écosystème qui nécessite de l’espace (plusieurs hectares au minimum) et du temps sans intervention humaine (plusieurs dizaines ou centaines d’années). On comprend facilement qu’une forêt ne peut être ni « micro », ni « urbaine ». Il est en revanche possible de s’inspirer des forêts pour recréer des écosystèmes ressemblants sur les sites où la situation le permet : sols profonds, superficie suffisante, zone peu fréquentée… tout en gardant à l’esprit les limites de l’exercice et la véritable définition d’une forêt !
Avoir des objectifs réalistes
Si l’on souhaite réintroduire de la biodiversité en ville, il faut donc :
- observer et inventorier l’existant
- connaître le fonctionnement d’un écosystème
- se fixer des objectifs réalistes
Ce dernier point est important. Un projet comporte toujours des contraintes : cela peut être une situation géographique défavorable (enclavement), le passé du site (sols artificialisés en profondeur ou pollués) ou encore une densité de bâtiments imposée. On ne peut pas « importer » n’importe quel écosystème sur un site, qui plus est en zone urbaine. Par exemple, beaucoup d’animaux sont trop sensibles au dérangement (promeneurs, bruits, lumières artificielles…) pour vivre dans un quartier densément peuplé. C’est par exemple le cas des oiseaux d’eau, des grands mammifères, de certaines chauves-souris, etc. D’autres ont besoin de vastes milieux naturels pour réaliser leur cycle biologique (espèces montagnardes, paludicoles, strictement forestières, etc.). Seule une faible proportion des espèces animales peuvent supporter un environnement urbain.
Macro-homogénéité et micro-hétérogénéité
Créer un environnement favorable à la biodiversité est un exercice complexe. Une des règles à respecter pourrait être de conserver une certaine homogénéité (ou continuité) à l’échelle du site, tout en favorisant une micro-hétérogénéité à une échelle très fine. Si l’on souhaite par exemple crée un écosystème de type bocager, le site se composera essentiellement de haies et de prairies (macro-homogénéité) mais comportera aussi des variations dans la composition et l’exposition des haies, dans la date et la fréquence de fauche des différentes parcelles, etc.
Ci-dessous, nous présentons deux exemples d’aménagement pour un espace vert d’environ 5.000 m² (= 0,5 ha). Ces deux aménagements sont réalisés avec exactement le même nombre d’arbres, d’arbustes et de buissons. Dans le premier cas, on a cherché à créer plusieurs milieux : un boisement à l’ouest, une prairie au centre, une lande au sud-est… Résultat : chacun de ces milieux est de petite superficie : le boisement couvre 800 m², la lande 400 m²… L’intérêt du site est donc faible pour des espèces typiques de la forêt ou typiques de la lande. En effet, ces 800 m² ou 400 m² sont bien en-dessous de la surface du domaine vital des espèces animales. Celui-ci varie généralement entre 0,5 et 5 ha (soit 5.000 à 50.000 m²) pour la grande majorité des oiseaux, les couleuvres, le Lapin de garenne, l’Écureuil roux, etc. Le site ainsi aménagé « risque » d’accueillir essentiellement des espèces « banales », c’est à dire ubiquistes et anthropophiles (Pigeon ramier, Mésange charbonnière, Merle noir…), surtout si il se trouve en zone urbaine.
Dans le second cas, avec les mêmes éléments, nous avons créé un site « bocager » à 100 %. Les espèces liées au bocage y trouvent donc 5.000 m² (soit 0,5 ha) d’habitat favorable. Et dans ce bocage, nous avons ménagé des zones de quiétude et différents types de lisières. Cet espace est donc plus homogène dans son ensemble mais contient des variations de micro-habitats. L’entretien différencié des prairies est facilité par le découpage de l’espace en « cellules ». Certaines prairies peuvent être fauchées tardivement et d’autres plusieurs fois par an pour être accessibles aux promeneurs. Ce second site présente un intérêt notable pour des espèces typiques des milieux semi-ouverts comme les fauvettes, bruants, hypolaïs (oiseaux), les micro-mammifères, les reptiles, les batraciens, mais aussi les papillons, les libellules, etc.
Savoir ce que l’on peut faire… et comment le faire.
En conclusion, les principales qualités pour aménager un site favorable à la biodiversité sont la capacité d’observation, la connaissances des lois qui régissent les écosystèmes et enfin l’humilité. Avec cette dernière, nous reconnaîtrons que la nature a un fonctionnement complexe et qu’on ne peut pas entièrement la contrôler ou la diriger. Il y a toujours une part d’incertitude dans la nature : n’est-ce pas d’ailleurs son caractère changeant et imprévisible qui en fait la beauté ?