Quel niveau de complétude pour l’atlas des libellules de Bretagne ?

Après l’atlas des papillons de Bretagne et celui des amphibiens et reptiles de Loire-Atlantique, nous avons appliqué la méthode P.A.C au récent « Atlas des libellules de la Bretagne à la Vendée ». Pour rappel, cette méthode, mise au point par notre bureau d’études, permet d’évaluer le niveau de prospection (ou complétude) des atlas de biodiversité.

Faute d’avoir accès au tableau des données brutes (présences mailles / espèces), nous n’avons pu traiter que 20 mailles car le traitement de chaque maille prend du temps. Sur ces 20 mailles traitées :

  • 9 montrent un niveau de prospection satisfaisant
  • 2 montrent une légère sous-prospection
  • 4 une sous-prospection moyenne
  • et 5 une forte sous-prospection

La méthode utilisée est présentée en détail dans cet article.

Ce nouvel exemple d’application montre que les résultats ne sont pas dépendants de la zone biogéographique traitée :

  • on trouve aussi bien des mailles fortement sous-prospectées dans le Finistère nord que dans le Centre Bretagne ou dans l’Est de la Loire-Atlantique et de la Vendée
  • à l’inverse, on trouve des mailles à prospection satisfaisante dans chacun des six départements
  • la proximité de la côte, la latitude et la continentalité ne semblent pas influer sur les résultats

On peut donc dire que l’indice P.A.C (Probabilités d’Absences Cumulées) semble bien indépendant du contexte biogéographiques, ce qui était le but initialement recherché. Dans ce sens, il s’agit donc d’un indice pertinent pour l’évaluation de la complétude des inventaires faune / flore.

Niveau de prospection des mailles de l’Atlas des libellules de la Bretagne à la Vendée, d’après la méthode P.A.C (B.E.T, 2024)

Complétude des inventaires naturalistes : comparaison de la méthode P.A.C avec celles de l’OEB et de l’AOF

Au cours des dernières années, notre bureau d’étude a mis au point une méthode pour évaluer le niveau de complétude des atlas régionaux ou nationaux. Cette méthode s’intitule « Probabilités d’Absences Cumulées » ou P.A.C. Les premiers résultats, relatifs aux papillons de Bretagne et aux amphibiens et reptiles de Loire-Atlantique, ont été présentés dans cet article.

En parallèle, deux autres structures présentent des indices de complétude pour différents groupes :

L’Observatoire de l’Environnement en Bretagne (OEB) produit des cartes de complétude par commune, disponibles ici.

L’Atlas des Oiseaux de France (AOF) présente un indice de complétude pour chaque maille du territoire national.

Nous analysons les résultats obtenus par ces deux structures, qui ont utilisé des méthodes différentes de celle que nous proposons.

La méthode par courbe d’accumulation de l’OEB

La méthode utilisée par l’OEB, appelée « méthode de la courbe d’accumulation », est basée sur le principe suivant (nous citons) : « plus il y a d’observations accumulées sur un territoire et moins il y a de chance qu’une nouvelle observation détecte une nouvelle espèce« . Il s’agit d’une méthode classique et tout à fait logique : dans les premiers temps d’un inventaire, le nombre d’espèces augmente rapidement, donnant à la courbe « nombre d’espèce en fonction du nombre de données » une pente forte. Par la suite, cette pente diminue car il faut de plus en plus d’effort de prospection pour découvrir de nouvelles espèces. Enfin, la courbe devient quasiment plane, avec une asymptote correspondant au nombre réel d’espèces présentes sur l’entité géographique considérée.

Toutefois, l’OEB prend bien soin d’ajouter que « cette complétude est une première approche et n’est pas un descripteur pertinent de l’effort d’échantillonnage à l’intérieur d’une commune : un seul site a-t-il été inventorié dans la commune ou plusieurs ?« . En effet, comme nous l’avions expliqué dans notre présentation de la méthode P.A.C, on peut accumuler beaucoup d’observations concernant quelques espèces très communes. Cela a pour effet d’aplatir la courbe « nombre espèces en fonction du nombre d’observations » et de créer un « faux palier » qui laisse croire – momentanément – que l’asymptote est atteinte (schéma ci-dessous).

Les résultats présentés par l’OEB en utilisant cette méthode sont assez « pessimistes » quant au niveau de complétude des atlas. Pour les oiseaux, groupe pourtant le mieux connu, une large majorité des communes présente un niveau de complétude « insuffisant ». Les communes atteignant un niveau « convenable » sont les communes du littoral (qui attirent en masse les ornithologues) ainsi que celles situées autour de Rennes et dans les Monts d’Arrée. C’est pire encore pour les autres groupes, notamment pour les lépidoptères (une centaine de communes seulement sur 1200 atteignent un niveau convenable) ou encore les reptiles. Pour ces derniers, compte-tenu du très faible nombre d’espèces connues en Bretagne (une petite dizaine), la méthode de la courbe d’accumulation n’est probablement pas adaptée car l’asymptote, réelle ou supposée, est rapidement atteinte.

Pour un groupe comme les coléoptères, le problème est inverse : compte-tenu du très grand nombre d’espèces existantes (environ 10.000 en France métropolitaine), de leur difficulté d’identification et de la variation d’abondance inter-annuelle, on risque fort de ne jamais atteindre une asymptote durable. A moins que seuls des débutants participent aux prospections, identifiant toujours, année après année, les dix ou quinze mêmes espèces.

La problème de la courbe d’accumulation est que sa forme est très dépendante du profil des observateurs : une enquête « grand public » va rapidement atteindre un pallier et donner une impression de complétude tandis que des spécialistes vont se concentrer sur la recherche de nouvelles espèces et rapporter moins de données « déjà vues », d’où une courbe à pente toujours forte qui donne une impression d’incomplétude… malgré un nombre d’espèces bien plus élevé (voir schéma ci-dessous).

La méthode « par comparaison historique » de l’Atlas des Oiseaux de France

Le site de l’atlas des oiseaux de France décrit ainsi son indice de complétude : il s’agit du « rapport entre le nombre d’espèces observées sur la période 2019-2024 et le nombre d’espèces observées sur les périodes précédentes« . Autrement dit, les espèces historiquement connues sur une maille ont-elles été retrouvées lors de la période de l’atlas ? Le mérite de cette méthode est de traiter différemment les mailles à faible potentiel de celles à haut potentiel. En effet, on ne peut pas attendre d’une maille située dans la Beauce le même nombre d’espèce que d’une maille située en Camargue ou en Brière.

Cette méthode donne des résultats bien plus « optimistes » que la précédente : 41 % des mailles ont une complétude de 100 %, que l’on peut traduire comme « parfaite » et 57 % ont une complétude comprise entre 75 et 100 %. Seuls 2 % des mailles ont une complétude comprise entre 50 et 75 % et aucune n’est en-dessous de 50 %.

En regardant dans le détail, certains résultats ont de quoi surprendre. Il n’est pas rare de trouver côte à côte deux mailles dont l’une présente un niveau de complétude bien meilleure que sa voisine, avec pourtant beaucoup moins d’espèces. Ainsi, pour prendre un exemple breton, la maille de Mûr de Bretagne a un taux de complétude de 97 % avec 151 espèces signalées alors que la maille voisine de Saint Caradec a un taux de complétude de 105 % avec seulement 84 espèces signalées. Les deux mailles présentent pourtant un potentiel à peu près comparable en termes de milieux. L’écart en termes de nombre d’espèces devrait logiquement se traduire par une moins bonne complétude de la seconde maille.

On l’aura compris, c’est avant tout la qualité de la prospection « historique » qui influe sur le niveau de complétude. Ainsi, pour pousser le raisonnement à l’extrême, une maille qui n’aurait quasiment pas été prospectée avant 2019 aura systématiquement un indice de complétude supérieur à 100 %. Par ailleurs, si le nombre d’espèces baisse sur une maille, cela peut-être lié à une dégradation des milieux autant qu’à un problème de prospection.

Comment la méthode P.A.C limite les biais

Dans les deux exemples précédents, la complétude est définie comme un nombre d’espèces à atteindre. Or, il n’y a pas de manière satisfaisante de définir ce nombre théorique d’espèces. C’est pourquoi la méthode des Probabilités d’Absences Cumulées évite de recourir à cette valeur de référence.

Les deux méthodes présentées ci-dessus considèrent à valeur égale toutes les espèces. Or, pour reprendre l’exemple des reptiles, ne pas découvrir le Lézard des murailles – espèce la plus abondante de France – est bien plus révélateur d’une sous-prospection que la non-découverte de la Trachémyde écrite, mieux connue sous le nom de Tortue de Floride, dont la présence est surtout due au hasard des introductions.

C’est pourquoi la méthode P.A.C propose de donner un poids différent à chaque espèce : cela permet de s’affranchir du très problématique « nombre total d’espèces ». Notre méthode repose essentiellement sur l’analyse de l’absence des espèces très communes. Le fait que les espèces très communes et ubiquistes soient normalement présentes partout est une base bien plus solide qu’un hypothétique nombre d’espèce à trouver pour chaque maille. Concrètement, il est plus certain d’affirmer « ce territoire est sous-prospecté car il y manque à la fois le Pinson des arbres, la Mésange bleue, le Rougegorge familier et le Pigeon ramier » que « ce territoire est sous-prospecté car nous y avons trouvé 85 espèces alors que nous en attendions 105« .

Comptage des Hirondelles de fenêtre d’Arc Sud Bretagne (56)

La synthèse des comptages, effectués par Émilien et Pierre-Louis Barussaud en 2023 et 2024, est disponible ci-dessous au format pdf.

Ces comptages ont été réalisés durant la période de reproduction de l’Hirondelle de fenêtre. Ils permettent de connaître les effectifs de cette espèce protégée, commune par commune.