Grand Capricorne : les paradoxes d’une espèce protégée

C’est l’un des plus gros insectes de France, mais qui passe le plus souvent inaperçu au stade adulte. Sa larve est un célèbre « ravageur » de vieux chênes… mais l’espèce est néanmoins protégée. Souvent au cœur des débats lors des opérations d’aménagement – y compris à Notre-Dame-des-Landes ! – le Grand Capricorne mérite une attention particulière.

Un statut controversé

Tronc d’arbre attaqué par les larves de Grand Capricorne : à droite, les trous d’émergence sont nettement visibles, à gauche, la chute de l’écorce laisse voir les galeries (Maine-et-Loire, 2018)

Le Grand Capricorne est un insecte xylophage de la famille des Cérambycidés, présent dans la quasi-totalité des régions de France, mais plus rare et disséminé au nord de la Loire. Il dépend de la présence de vieux feuillus pour se reproduire : les Chênes essentiellement, mais aussi à l’occasion les Frênes, les Hêtres, les Charmes ou les Châtaigniers. Il est considéré comme « vulnérable » à l’échelle mondiale par l’UICN et figure à l’annexe II de la Directive Européenne « Habitats, faune, flore ». En France, l’espèce ainsi que ses habitats sont protégés (arrêté du 23 avril 2007, article 2). Outre les individus adultes, la loi protège également les larves et les sites de reproduction de l’espèce. Ces derniers sont de vieux arbres, souvent dépérissants… du fait même de la présence des larves dans leur tronc. En résumé, il est interdit de détruire un arbre que le Grand Capricorne finit par détruire lui-même. Ce paradoxe, associé dans certaines régions à une relative abondance de l’espèce, suscite parfois l’incompréhension : pourquoi cet insecte « ravageur » est-il protégé ?

 

Une biologie particulière

La femelle pond en été dans les fentes des écorces. Les larves naissent deux semaines plus tard, se nourrissent du bois et hivernent là une première fois. Au printemps, elles pénètrent dans l’aubier. Après un deuxième hivernage, la larve s’enfonce à nouveau dans le bois (15 à 30 cm de profondeur) et creuse une « chambre » ou elle effectue sa nymphose. La même année, quelques semaines plus tard, l’insecte éclot mais reste dans la profondeur du bois pour hiverner une troisième fois. L’été suivant, l’insecte quitte le tronc en creusant vers l’extérieur : c’est ainsi qu’apparaissent les « trous d’émergence » ovales et assez caractéristiques, accompagnés de coulées de sciure. Sur les arbres très « attaqués », l’écorce finit par tomber et l’on peut observer les réseaux de galeries creusés les années précédentes. Le plus souvent, l’arbre finit par succomber.

 

Une espèce fragile…

Cette reproduction qui s’étale sur trois années – parfois jusqu’à cinq, selon le bois colonisé – rend l’espèce particulièrement sensible à l’abattage des arbres. En effet, dans un paysage donné, le nombre d’arbres propices à la reproduction du Grand Capricorne est souvent limité. La capacité de dispersion de cet insecte étant assez faible (quelques centaines de mètres), il suffit parfois que deux ou trois arbres disparaissent pour mettre en danger une population locale. Là encore, la notion de continuité écologique est essentielle pour la sauvegarde de l’espèce.

En savoir plus : « La trame verte et bleue : à quelles échelles ? pour quelles espèces ? »

… qui colonise des arbres déjà affaiblis

arbres

Vieux chênes taillés sévèrement sur une parcelle agricole : un habitat typique pour le Grand Capricorne (Loire-Atlantique, 2017)

Reste le cas particulier des alignements d’arbres de même âge qui peuvent être touchés simultanément. Souvent, la colonisation de ces arbres est favorisée par des tailles sévères comme la taille en « têtard » répétée, qui affaiblissent les sujets. Les arbres « blessés » par des engins agricoles peuvent aussi être colonisés. Donc, ultime paradoxe : on se plaint souvent des dégâts commis par le Grand Capricorne sur nos arbres, mais l’insecte s’attaque essentiellement à des arbres que l’on a préalablement affaibli par des coupes répétées !

Par ailleurs, si on laissait le Grand Capricorne – et les autres xylophages – agir, en quelques décennies le bois mort retournerait à la terre et enrichirait cette dernière. Mais ce genre de phénomène naturel se déroule sur des temps très longs  et n’a malheureusement pas sa place dans les systèmes de culture actuels.

 

En savoir plus sur la protection légale des espèces en France

 

 

Photos : Émilien Barussaud

6 réponses
  1. Bastien
    Bastien dit :

    En nord haute-vienne le grand capricorne se développe énormément dans certaines zones, et beaucoup de chênes d’une cinquantaine d’année qui n’ont jamais été taillé sont touchés, il semblerait qu’une absence de prédateurs (le mot « régulateurs » seraient plus approprié) permettent ce développement massif.
    C’est très impressionnant, il y a des zones entières où tout les chênes de plus de 40cm de diamètre sont touchés.

    Et en passant, cette photo de chêne têtard n’est pas très représentatif des chênes têtard, ces deux arbres sur la photo sont de toutes évidence mal entretenu et voué et à mourir à court/moyen terme.

    Bonne journée

    Répondre
    • Pierre
      Pierre dit :

      Bonjour,
      Je crois , car c’est maintenant très documenté, qu’il faut invoquer les effets du réchauffement climatique pour expliquer le dépérissement du chene pédonculé, avec, corrélativement, la multiplication des insectes xylophages dont le grand capricorne du chêne Cerambyx cardo
      fait partie.
      De ce fait le classement de cette belle espèce (et donc de son cortège) comme espèce protégée pose question puisqu’on est en situation au contraire de pullulation des parasites de faiblesse et en particulier de celui là
      Il apparaît donc que la protection de cet insecte soit devenu un non-sens dommageable pour les vieux arbres puisqu’il participe à accélérer leur mort.
      J’ai bien peur cependant qu’il faille la mort de quelques millions de chênes supplémentaires avant que cette question ne puisse être abordée; Les institutions n’aiment guère passer la marche arrière. Celles de l’environnement pas plus que les autres.
      Pierre

      Répondre
      • françois
        françois dit :

        tout à fait d’accord avec vous
        je vais devoir abattre un beau chene de 150 ans du faite de l’attaque de cet insecte nuisible!!

  2. Daniel Prunier
    Daniel Prunier dit :

    Les chênes en photos sont des « trognes » et non des têtard. Ce type de traitement affaiblit les arbres. Il est très pratiqué en Bretagne. Le Cerambyx cerdo n’est pas un ravageur mais un acteur du renouvellement de la chênaie; La destruction à grande échelle des vieux chênes va provoquer l’extinction du Cerambyx par manque de ressource.

    Répondre
  3. Cqbdbfjdsdd
    Cqbdbfjdsdd dit :

    Que fait on?
    On tue ceux que l’on voit, c’est sans doute pas suffisant ?
    On abat les chênes atteints?
    On peut laisser faire?
    Est ce que badigeonner le pied des troncs au fuel ou autre substance peu aider?
    J’en ai un sous le pied là, et devant des chênes qui décrochent (2023)

    Répondre
    • Emilien Barussaud
      Emilien Barussaud dit :

      Bonjour, cette espèce étant protégée, sa destruction (ou celle de ses habitats) nécessite une dérogation. Il faut adresser la demande de dérogation au préfet de votre département. Vous pouvez contacter la DDT (ou DDTM) de votre département. Si il y a un enjeu de sécurité, mentionnez-le.
      Je ne crois pas que badigeonner les troncs avec quelque substance ait un quelconque effet pour cette espèce.
      Bien cordialement
      Émilien Barussaud

      Répondre

Laisser un commentaire

Rejoindre la discussion?
N’hésitez pas à contribuer !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *